Full text: L'art contemporain (3)

BONSOIR M. PICASSO 
C’est Picasso qui nous a donné les clefs de la 
nouvelle peinture. Ses mérites historiques sont in 
contestables. Son œuvre évoque maintenant plus 
d’enthousiasme que de restrictions. Son nom est 
des plus populaires. Le mouvement innové par iui 
est aujourd’hui tout à fait officie! et presque « re 
connu d’utilité publique ». Malgré cela, les « is- 
mes » qui viennent de paraître se réclament en 
core du nom de Picasso comme de celui d’un 
grand chef d’avant-garde. Reconnu déjà par les 
«vieux », et encore par les jeunes, Picasso est 
aujourd’hui à son apogée. Il a même sa légende, 
qui embellit tous ses faits et gestes. 
Picasso devînt à un certain degré l’éten 
dard de notre époque, un symbole de tout ce qui 
est nouveau, un synonyme d’avant-garde. Mais 
le fait de cette situation extraordinaire et privilé 
giée exige que la nouvelle génération se pronon 
ce d’une façon aussi claire que possible pour ou 
contre Picasso. Cette génération doit préciser 
son attitude envers Picasso, qui passe toujours (et 
encore) pour son chef et pour le porte-parole 
de notre époque. Nous ne voulons pas nier sa 
grandeur et même son « génie » (nous employons 
ce mot en nous rendant compte de la responsabi 
lité et du prix des paroles). Nous apprécions ses 
valeurs réelles et avant tout ses grands mérites. 
Mais d’autre part nous sentons la nécessité de 
porter de graves accusations contre ce Picasso, 
dont le visage est aujourd’hui entouré de l’auréole 
trouble d’une centaine de monographies, qui célè 
brent le personnage du « maître de Malaga ». 
Nous n’avons nullement l’intention d’analyser les 
«époques» rouges, jaunes, vertes, violettes et ultra 
violettes de son œuvre. Nous soulignons seule 
ment que, dans les débuts du cubisme, Picasso tout 
comme les autres peintres cubistes, a su s’imposer 
une discipline constructive, qui a décidé du succès 
de ce mouvement. Cette auto-modération et l’ob 
jectivité universaliste n’ont duré que quelques 
années. Picasso a abandonné « les natures mor 
tes » en se laissant entraîner par sa nature vivante 
d’arlequin, pour remplacer la discipline créatrice 
par « l’explosivité de son talent », par « l’in 
domptable caractère espagnol» etc... « L’artiste a 
su se délivrer de règles étroites », « il a rompu ies 
liens qui gênaient son vol », « par la force du 
génie » etc., etc. — comme si la critique parlait 
d’un acteur ou d’un artiste déjà mort. 
Nous ne voulons pas dire que toutes les œuvres de 
Picasso, d’après les débuts du cubisme, soient sans 
grande valeur. Au contraire. Nous accordons que 
la plupart de ces tableaux sont marqués des qua 
lités de son grand talent. Mais nous jugeons indis 
pensable de dire aussi fort et aussi catégorique 
ment que possible, qu’il y a beaucoup de tableaux 
de Picasso qui ne sent pas dignes de porter son 
nom. (Noblesse oblige — le nom de Picasso oblige, 
lui aussi), lis sont le résultat de l’abandon de la 
discipline pour « le droit du génie », pour « le 
droit de se prononcer librement, indépendamment 
de toute école ». C’est à ce « génie », qui « ne 
connaît pas de règles », que nous devons les va et 
vient de Picasso entre le cubisme, le réalisme et le 
surréalisme. La critique servile et habile a su con 
vaincre « le maître de Malaga » que tout ce qu’il 
fait est génial. Grâce à ce procédé on a même pu 
coller cette épithète sur la production rapportée de 
Dinard, qui fut très soigneusement classée, catalo 
guée, numérotée, munie des dates des jours et des 
heures, malgré que ce picassisme de Dinard ne soit 
que le résultat d’une indisposition exceptionnelle 
de l’artiste. La critique défend et pousse Picasso 
aux productions de saltimbanque, aux cabrioles 
idéologiques. L’initiateur du cubisme s’est privé 
lui-même de sa base idéologique, ce qui l’a obligé 
à se laisser guider seulement par son « génie ». 
Mais si l’intuition et la routine (même « génia 
les») suffisent pour les œuvres, l’œuvre exige 
une méthode résultant de la conscience du tra 
vail artistique, du rapport personnel et moral de 
l’artiste avec son art. La précision, la conscience 
créatrice, l’effort vers l’ordre -— 
tout cela n’existe 
pas chez Picasso. Picasso est bourré de « tempé 
rament explosif », de « force d’imagination », du 
sens du déséquilibre, du culte de « l’inspiration ». 
Picasso fut celui qui ouvrit la nouvelle épo 
que dans la peinture. Mais certaines clefs, aussi 
bien que l’estimable personnage du sommelier, 
sont de l’époque passée. Mystérieusement on 
a breveté le « génie » de Picasso, en mettant 
à l’ombre l’œuvre de Braque dont le « génie » (non 
breveté) a su toujours s’imposer le principe de 
rigueur morale, de discipline artistique et d’évo 
lution. 
Il est impossible d’expliquer par une évolution 
les « évolutions » d’un saltimbanque, par lesquel 
les Picasso tâche de nous éblouir. Cet « artisse » 
a le malheur d’avoir l’ambition de garder toujours 
sa place de chef d’avant-garde. Picasso se croirait 
« avant-gardesque », même s’il était un personna 
ge des plus officiels, même s’il était secrétaire 
perpétuel de l’Académie Française. Ce désir d’être 
toujours d’avant-avant-garde pousse Picasso à 
faire des bonds par ci et par là pour à tout prix 
rester à flot. Picasso flaire « génialement » tout
	        
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