NAVIGATION TACTILE
(poésie tactile — mots en liberté)
Sous mes pieds à travers le plancher vibrant du
paquebot une mer solide sûre abstraite froide de
papier glacé trottoir roulant de résistances cal
mes continues sur le visage 300 rouleaux de
soie lisse et de crêpe de soie persuasif et raisonnant
aube de chinchilla sur le très long onduleux
divan azuré d’une mer de velours excitant tiède
de nostalgie se coucher glisser en dormant
à droite une amoureuse pression de coussins
(chaque coussin hauteur 50 mètres)
Un irritant chaud très volontaire vent de soie
granuleuse et de peau de chamois ce vent est
brutalement mis en pièces anéanti par un bombar
dement imprévu d’éponges glacées
Lente humanisation de l’atmosphère au cou
chant sur ma nuque tombent 20 forêts de che
velures féminines (chaque forêt 150000 chevelures)
Voilà 300 chevaux galopants tous gonflés de sang
lyrique se frottent les flancs contre mon nez
Sans fin puis à toute vitesse 2000 chiens for
cent le détroit de mes jambes
Pause immobilité
Apathie
8 lents kilomètres d’éventails de plumes
Du sud-est monte une attaque de ronds cristaux
élastiques pleins de ressorts suaves (cela dure 10
minutes)
Dégringolade de coussins de soie chaude (envi
ron 3000) suffocation
Du fond du couchant s’avancent rapides 3 mai
sons en papier de verre bleu mais derrière mes
épaules surviennent 2 tours (100 mètres) de soie lisse
qui m’enjambent
Très haut sur le
8 ballons (diameli
m è Li
l’un en velours blanc l’autre en laine de
Pyrénées verte
ressent les joues
tous l’un après l'autre me ca-
à droite 2 autres maisons de moire rouge (hau-
elles s’ouvrent toutes grandes
teur 400 mètres)
comme des livres démesurés et se transformant en
brosses perpendiculaires démesurées puisque leurs
murs de moire rouge sont hérissés des bras noirs
ges
des locataires aux fenêtres
Ces maisons livres brosses me brossent le front
choc global sur mon visage de toutes ces mai-
sons-livres-brosses de moire pêle-mêle avec les bal
lons de laine et les tours de soie
Pause
Nuit de fourrure de loulre sur la mer de renard bleu
Pause
3 houppes parisiennes aux lèvres du comman
dant debout sur la dunette dans son caban qui sue
salé de reflets glacés
sur mer
transposés tout d’un coup
un coup de revolver
fini
qui est ta sœur et qui pourrait l’être
sous la claire étoffe disent les dames il y a des larme
atlantique de l’ennui
qui le patience dans les creusets modifiables
devant le musulman
bords brûlants de la parole
o surgis de la forêt et chevauche
a bsa Ion
la mort papale spéciale et délicate
TRISTAN TZARA
F. T. MARINETTI
Enrico Prampolini