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CHRONIQUE MENSUELLE
POÈMES EN PROSE. — En remontant aux plus anciens temps on trouve des
auteurs qui ont écrit des œuvres absolument telles que ce qu’on appelle aujourd’hui
« Poèmes en prose ». Mais, de notre époque, un précurseur fut Aloysius Ber
trand avec : « Gaspard de la nuit », livre d’après lequel Beaudelaire fit ses
« Poèmes en prose ». On sait à quel point il réalisa un genre différent. Et si
lui-même, dans sa préface, ne nous indiquait pas d’où il est parti, nous l’aurions
toujours ignoré. Oscar Wilde écrivit aussi en prose des poèmes qui ne sont pas le
meilleur de son œuvre pour ceux qui la jugent aujourd'hui complète. Enfin de
nos jours tous les poètes ou presque font ou ont fait plus ou moins du poème en
prose. Et cela dans tous les pays. Et il faut reconnaître que le précurseur de ce
genre actuel, celui chez qui ont puisé tous ceux qui publient encore des poèmes
en prose, c’est Arthur Rimbaud. Certains ont seulement ajouté à ce qu’il a
apporté la technique des poèmes persans, chinois et japonais.
Il serait inadmissible de refuser à ce génie bizarre et incomplet la seule part
qui lui revient. Celle d’avoir créé et encore plus pressenti un métier nouveau,
une structure littéraire neuve qu’il n’a pas poussée plus loin que l’œuvre inachevée
u 5 tour, le m md^ c mnait. Tout le monde aussi voudrait être aujourd’hui l’inven
teur du poème en prose et de l’esthétique qui en constitue la plus grande valeur.
Il est un peu tard. Rimbaud est mort depuis longtemps mais son œuvre reste. Il
n’est défendu à personne d’y puiser un enseignement. Cela n’autorise, cependant,
pas à se parer de plumes qui ont poussé sur le dos d’un autre.
EXPOSITION. — Depuis la guerre « les Indépendants » ont essayé de se
produire en des expositions fragmentaires dont les circonstances faisaient excuser
l’insuccès. On aurait pu espérer que dans la belle salle de la rue de la Ville-l’Evê-
que, l’exposition de cette année serait mieux réussie.
Je ne crois pas qu’on puisse sortir satisfait après avoir examiné les toiles qui
pour le moment couvrent les murs. Il n’y aurait à citer que quelques noms déjà
très connus et des toiles de peintres qui ne sont plus là. Ce n’est précisément pas
ce que Ton cherche aux Indépendants. D’ailleurs les derniers n’y gagneraient
rien et les premiers ne sont pas tellement avides de réclame. Aussi bien n’est-ce
guère le moment d’en faire à quiconque. Il vaut mieux dire que, décidément,
l’Exposition des « Indépendants » n’est plus aujourd’hui une chose possible. Ils
perdent vraiment trop à être peu.
Et pourquoi donc se servir de cette étiquette prestigieuse qui ne peut qu’évo
quer infailliblement en nous la foire de peinture unique au monde qui tous les
ans dressait ses tentes où le lui permettait l’hostilité officielle? Le nom de cette
manifestation grandiose, terriblement anarchique, où l’on constatait tous les
efforts et toutes les erreurs, qui attirait tous ceux qu’intéresse autre chose que
l’art officiel, ne peut être emprunté pour désigner un groupe de peintres quel
qu’il soit, sans attirer les visiteurs vers une déception. C’est un rapetissement
qu’il ne faut pas encourager, car il y a des gens que l’étiquette trompe. Il y a
même ceux qui se croient obligés de venir manifester là très haut, à cause d’elle,
les sentiments d’indignation, les moqueries que Ton connaît et vraiment... il n’y
a pas de quoi. Ils n’en sont d’ailleurs que plus pénibles à entendre. Et si je crois
qu'il ne faut pas trop prendre de peine pour éduquer le « public » je crois aussi
qu’il faut éviter de le tromper. On ne doit donc pas risquer de diminuer par des