Baudelaire est donc le fils de Laclos et d’Edgar Poe.
On démêle aisément ies influences que l’un et l’autre ont exercées
sur l’esprit prophétique et plein d’originalité de celui que, dès cette
année 1917 où son œuvre tombe dans le domaine public, on peut mettre
au rang non seulement des grands poètes français, mais que l’on peut
encore placer à côté des plus grands poètes universels.
L’influence des littérateurs cyniques de la Révolution se retrouve
dans sa correspondance et dans ses notes.
Celle d’Edgar Poë a décidé le poète à adapter au lyrisme étrange
ment élevé que lui avait révélé le merveilleux ivrogne de Baltimore, les
sentiments moraux qu’il avait tirés de ses lectures prohibées.
Dans les romanciers de la Révolution il avait découvert l’impor
tance de la question sexuelle.
Chez les Anglo-Saxons de la même époque, comme Quincey et
Poë, il avait appris qu’il existait des paradis artificiels. Leur exploration
méthodique lui a permis d’atteindre, appuyé sur la Raison, déesse
révolutionnaire, les sommets lyriques vers lesquels les prédicants fous
de l’Amérique avaient dirigé Edgar Poë, leur contemporain ; mais la
Raison l’aveugla et l’abandonna dès qu’il eut atteint les hauteurs.
Baudelaire est donc le fils de Laclos et d’Edgar Poë, mais leur
fils aveugle et fou qui, toutefois, avant d’escalader les cimes, avait
regardé avec une admirable précision les Arts et la Vie.
Il est vrai aussi qu’en lui s’est incarné pour la première fois l’esprit
moderne. C’est à partir de Baudelaire que quelque chose est né qui
n’a fait que végéter tandis que Naturalistes, Parnassiens, Symbolistes
passaient auprès sans rien voir, tandis que les Naturistes, ayant tourné
la tête, n’avaient pas l’audace d’examiner la nouveauté sublime et
monstrueuse.
A ceux qu’étonnerait sa naissance infime de la boue révolution
naire et de la vérole américaine, il faudrait répondre par ce qu’enseigne
la Bible touchant l’origine de l’homme issu du limon de la terre.
Il est vrai que la nouveauté prit avant tout la face de Baudelaire
qui a été le premier à souffler l’esprit moderne en Europe. Mais son
cerveau prophétique n’a pas su prophétiser et Baudelaire n’a pas péné
tré cet Esprit nouveau dont il était lui-même pénétré et dont il décou
vrit les germes en tant d’autres venus avant lui.
Et il vaudrait bien la peine qu’on l’abandonnât comme ont été
abandonnés des lyriques de grand talent tels qu’un Jean-Baptiste
Rousseau dès que, ressassé par les uns et les autres et mis à la portée
du vulgaire, leur lyrisme eut vieilli.