„ Les carnets de Delacroix sont mieux que de l&gers dictionnaires,
ce sont des livres edifiants ou, comme on la dit, mais dans un autre
sens, a propos de Claude Lorrain, des «livres de verite&». Aussi les
conserva-t-il jalousement de son vivant, mais il ordonna qu’'apres sa
mort ils fussent vendus aux encheres et livres au public, voulant
ainsi, comme "l'a dit Burty, charge de leur classement, qu'’ils viennent
protester contre ce reproche de facilite et d’improvisation dont on
l’avait sans cesse poursuivi durant sa vie. La plupart de ces carnets
ont ete depeces, notamment les albums oü l’on pouvait suivre jour
par jour, et presque heure par heure, son voyage au Maroc, et qui
contiennent dejä les Femmes d’Alger ou la Noce juive. Un certain
nombre de ces recueils sont entres intacts au Musege du Louvre
gräce aux donations Moreau-Nelaton. Le Musee Conde de Chan-
tilly et quelques amateurs en ont heureusement sauve d’autres.
Il en va des dessins de Delacroix comme des dessins de Daumier:
les plus caracteristiqgues ne sont pas toujours les plus pousses;
lorsque ces maitres travaillent pour leur seul plaisir, ils nous touchent
parfois davantage que lorsque, songeant ä la vente, ils ont dü se
faire aimables et rentrer leurs griffes (qu’on nous passe le mot, il
s’agit bien de lions).
Sans cesse Delacroix insiste sur la necessit& de tuer l’habilete,
de fuir cette infernale «commodite» de la plume ou du crayon, aussi
redoutable que celle de la brosse. Arriver a l’effet par les moyens
les plus simples, conserver en face de la nature une espece d’in-
nocence, voilä la seule habilet& qu'il envie. «Des qu’'on veut &tre
savant et le paraltre, 6crit-il, le genre academique est trouve.» Ailleurs
il dit (A propos de Carrache): «L’habilete y domine le sentiment;
le faire, la touche, l’entravent malgre Ilui; il en sait trop
et, n’etudiant plus, il ne de&couvre rien de nouveau et d’in-
teressant.»
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