WALDEMAR GEORGES.
Fernand Léger est le seul peintre cubiste qui ait évolué des oppositions de formes et de couleurs, oppositions qui
parallèlement à Pablo Picasso, sans jamais subir son créent une impression de mouvement. Les paysages
influence, le seul qui ait créé un style, une technique, auxquels nous faisions allusion pour les mettre en regard
une vision, s’opposant aux données initiales de l’art, des paysages de Braque ne sont que des études. La per-
instauré par le grand Espagnol. Sans doute le point de sonnalité de l'artiste ne prend naissance et ne se manifeste
départ est-il identique chez la plupart des peintres qui, avec force que dans ces vastes synthèses des villes modernes
vers 1910 (plus exactement entre 1907 et 1911) se sont par lesquelles il impose sa vision de l’univers. L'époque
attachés à développer les conquêtes de Cézanne dans un dynamique de Léger voit le jour. Le peintre schématise
sens constructif. Jusqu'à cette date les leçons de l’Aixois ses volumes, les ramène à des formes géométriques pri-
n’étaient utilisées qu'au point de vue chromatique. Les maires et joue des contrastes, d’à-plats et de modelés.
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1929. LES DEUX COMPAS.
dessins de Léger, datés de 1905, témoignent qu’à l’époque Des formes figurées en trompe-l’œil, des cylindres, des
où ses contemporains s’adonnaient à l’étude de l’arabesque disques, des hémisphères, sont soulignés par des fonds,
colorée, cet emblème du fauvisme, notre artiste tentait à base de teintes unies. Ces fonds viennent d’ailleurs en
de retrouver le sentiment plastique du volume situé dans avant, et participent de l’ordonnance du tableau. Léger
l’espace. Mais ce volume, il ne peut se résoudre à le modeler suscite l’idée du mouvement pur par des moyens stricte-
et à le « faire tourner », suivant les vieux préceptes acadé- ment picturaux. Sans doute l'association d'images
miques. Il s'efforce de l’inscrire dans la surface sans en joue-t-elle un rôle capital dans son œuvre. Sa Ville pro-
rompre l’harmonie. Il ie décompose, il le ramène au plan. Vvoque une sensation de latente mobilité. Mais ce dyna-
Alors que Picasso et Braque suggèrent la troisième dimen- misme est dû, en grande partie, aux oppositions simultanées
sion par de subtils contrastes de creux et de saillies, de de formes, de directions, de couleurs, de valeurs lumi-
surfaces rentrantes et de surfaces saillantes, Léger s’écarte neuses.
franchement de la ligne tracée par ces deux peintres. Cependant Léger ne se rencontre point avec les futuristes.
Cette di ; de tal Il n’introduit jamais dans ses tableaux que l’on a qualifiés
cite divergence saccuse des que, renoncant a ‘a de « synthèses visuelles » la durée, cette quatrième dimen-
composition spatiale proprement dite, Picasso, qui avait sion. Mais il ne s’écarte pas dans la même mesure que les
recut tous ses volumes a etat de, po yèdres, brise leur cubistes, ses pairs, des données de l’optique. Il ne mé-
fn ° organique. + ssacian je Per Le cou at. connaît pas la portée émotive de la perception directe.
(èS 1ormes perdent leur poids, leur CENSILE, leur mate- Il ne peut se résoudre à exprimer à l’aide d’idéogrammes.
rialité. Picasso exécute des tableaux monochromes, sec- x ; ; | ye
tionne l’espace et retrouve par delà leur aspect extérieur, Alors même que Léger décompose les volumes, qu'il
les principes constructifs de chaque corps. fractionne l'espace, qu’il échelonne tous les plans en
hauteur et, qu’en de saisissants raccourcis, il fournit
La voie que suit Léger est différente. Un Braque scelle l’équivalent plastique d’un spectacle ou d’une série de
l’unité des surfaces, en pliant au même rythme maisons, spectacles, il reste concret et matériel. Ce n’est pas qu’il
arbres, accidents de terrain et nuages, qui s’emboîtent se borne à transposer la vie dans le plan de la peinture.
et qui s’interpénètrent (Ciotat, 1908). Léger a recours a Il en traduit la magie mécanique.