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le spectacle de son œuvre, l’étendue de la perte qu’a faite, je ne
dis pas la petite école genevoise de peinture, mais l’art tout
entier. »
Trente ans sont passés; et cette vérité commence à peine à
prendre la force de l’évidence. L’« arbre de grandeur », dont
parle Vigny, ne pousse pas en un jour sur les tombeaux qui ont
mérité son éternel ombrage. Menn le savait bien. Professeur à
l’Ecole des Beaux-Arts de Genève depuis 1848, puis directeur
de cette institution, il déclarait pourtant à ses derniers élèves s
« Dès mon commencement j’ai été un révolté contre l’enseigne
ment. Je n’ai pas transigé; aujourd’hui encore je persiste dans
une protestation qui me vaut d’être toujours au ban. »
Le temps seul devait avoir raison de cet ostracisme. En 1910,
lorsque j’eus à installer nos collections artistiques au nouveau
Musée d’Art et d’Histoire, ce ne fut pas sans peine que j'obtins
de donner à l’une des salles le nom de Barthélemy Menn. L'ad
mirable série d’études et de dessins léguée à la Ville par son
beau-fils, le peintre Bodmer, acheva de museler ceux qui lui
gardaient rancune de son intransigeance comme de son génie,
et s’acharnaient sournoisement sur sa mémoire. Jules Crosnier
lui consacrait dans Nos Anciens une importante étude. Les mu
sées de Bâle, de Lausanne, de Zurich, si je me souviens bien,
profitaient de l’offre du musée de Genève pour acquérir quel
ques-unes des toiles dont nous possédions des équivalents. Son
œuvre prenait peu à peu dans l’histoire de la peinture en Suisse
au XIX e siècle, la place qui lui était due. Des amateurs avertis
recherchaient les très rares ouvrages de sa main qui se trouvent
dans le domaine public. Mais c’est la gloire de Ferdinand Hodler,
le plus illustre de ses disciples, qui hâtera le resplendissement
de la sienne. Et M. C. deMandach y contribuait en faisant figurer
à l’Exposition Hodler, organisée au Musée de Berne èn 1921
deux tableaux de Barthélemy Menn. L'un d’eux, une tête d’homme,
porte sur le châssis, cette indication: «Je soussigné déclare
que cette tête a été peinte par moi, puis entièrement repeinte,
corrigée par mon Professeur Barthélemy Menn en 1863. Je l’ai
conservée intacte sans y toucher, telle que B. Menn l'avait
laissée. Ferd Hodler, Genève le 30 Juin 1911. » Ce témoignage