— 10
RÉPÉTITIONS - Paul ELUARD
(Au Sans Pareil.)
Il n’est plus temps de s’étonner du silence. La poésie est en
jeu. Aujourd’hui et demain, je ne sais quel peintre ou quel
cuistre déclarera que la poésie est morte et qu’il vaut mieux
songer à autre chose. Un autre jour un marchand de marrons
décidera que les poètes sont bons à rôtir. Qu’on le veuille ou
non, la crise de la poésie est aiguë. C’est pourquoi, sans doute,
le livre de Paul Eluard prend encore plus d’importance et plus
de gravité. Il est lourd comme un fruit mûr, comme une pla
nète en feu.
Dans « Répétitions », on ne découvrira rien d’autre qu’un
grand poète . Cette pureté déchaînera les pires injures et les
tristes intrigues. Il n’y a heureusement pas à lutter contre cette
force magnifique, incomparable.
Je lis les aventures des nuages, j’entends le langage des
oiseaux, les déclarations amoureuses des arbres. Le soleil
passe et je le connais. Et puis voici des hommes, j’aime leurs
yeux, leurs lèvres tendues, les gestes simples et inconscients
de leurs mains, de leurs paupières. Tout leur appartient, les
fenêtres, la rue, les fleurs et les femmes. Leurs vies plus grises
que le ciel sont liées, les unes et les autres, par d’invisibles fils
de la Vierge, qui s’évaporent et qui s’envolent dès qu’on veut
les toucher.
Peut-on vraiment avoir le courage de résister à ce courant
de sang rouge ? J’aime le cœur qui bat au rythme de ces vers
si tendres, si délicatement tendres, si respectueux.