pas de la brouille et celui de la réconciliation. Nous excellions
dans les mouvements d’ensemble ; mais le pas du parfait copain
se dansait seul. Le plus amusant que nous avions inventé était
celui de ladescente vers le bain, ensemble, le long de la grande
prairie : c’était un mouvement très rapide, car on voulait arriver
en sueur; il se faisait par bonds et la pente du pré favorisait
nos enjambées énormes, une main tendue en avant comme font
ceux qui courent après le tramway, et soutenant de l’autre le
flottant peignoir qui nous couvrait ; on arrivait à l’eau tout
essoufflé et nous plongions aussitôt avec de grands rires, en
récitant du Mallarmé.
Mais tout cela, direz-vous, pour être lyrique manquait un peu
de laisser-aller... Ah ! j’oubliais : nous avions aussi l’entrechat
subit de la spontanéité.
C’est la reconnaissance de mon cœur qui me fait
inventer Dieu chaque jour. Dès l’éveil je m’étonne d’être
et m’émerveille incessamment. Pourquoi la levée d’une
douleur apporte-t-elle moins de joie que la fin d’une
joie ne cause de peine ? C’est que dans le chagrin tu
songes au bonheur dont il te prive, tandis qu’au sein du
bonheur, il ne t’arrive point de songer aux douleurs qui
te sont épargnées ; c’est qu’il t’est naturel d’être heu
reux.
Une somme de bonheur est due, à chaque créature,
selon ce que ses sens et son cœur en peuvent supporter.
Si peu que l’on m’en prive, je suis volé. Je ne sais point
si je réclamais la vie, avant d’être ; mais à présent que
je vis, tout m’est dû. Mais la reconnaissance est si douce
et il m’est si nécessairement doux d’aimer, que la moindre
caresse de l’air éveille un merci dans mon cœur. Le besoin
de reconnaissance m’enseigne à faire de tout ce qui vient
à moi du bonheur.