L’ŒUF DUR — 13
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Une heure plus tard, il se hasarde à revenir. Le comte de
Lafaulx regardait toujours par le judas la trahison de sa femme.
Non seulement il ne fit aucun scandale, — il facilita par la
suite cette trahison.
Et comme le domestique qui l’avait averti s’étonnait de
cette étrange conduite et le nommait voyeur à ses camarades,
M. de Lafaulx le manda, lui donna sa bourse pour le remercier
de ce mot. Il lui donna aussi la batonnade — parce qu’enfin il
était grand seigneur.
J’ai oublié de signaler sa bravoure.
III
Marie
Lorsque Marie eut sept ans, elle se découvrit elle-même.
C’était un dimanche, à la messe. Les filles chantaient ; une
sonnette tinta. Et Marie se demanda qui elle était et qui elle
avait été. Et le demanda à ses parents. Mais une petite fille calme
et douce, très silencieuse, dont, en somme, on n’avait pas à
se plaindre. Marie sembla un peu déçue, puis se mit à vivre.
Mais rien n’en fut changé.
Son père était menuisier et sous-chef de la musique munici
pale. Sa mère vendait de la mercerie et du papier à lettres vergé
toile ou qualité supérieure. Le jour dont j’ai parlé, il faisait
froid et l’on avait donné à Marie un gros cache-nez. Il était
blanc, à rayures bleues. Elle l’enroulait deux fois autour de
son cou, une extrémité devant elle, l’autre derrière.
Marie fit sa première communion et le curé lui-même, qui
était un rougeaud un peu engourdi, déclara que de cérémonie
aussi édifiante, il n’en avait jamais vu.
Puis Marie alla dans un couvent. Elle tenait un journal de
sa vie. Le tout forma vingt-deux cahiers, dont chacun dédié
à un saint. Elle avait apporté son cache-nez. Aux heures de
récréation, elle y ajoutait quelque broderie. Il devint le centre
de sa vie. Quand les vingt-deux cahiers furent achevés, elle
rentra chez elle. On était venu la chercher en cabriolet. Et la
supérieure, qui s’appelait la chère sœur Thérèse, mit une main
sur l’épaule de la jeune fille, l’autre sur la croix de son chapelet,
et dit que l’odeur des vertus de Marie avait réjoui la Sainte
Vierge.