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CONFITEOR
U N certain nombre de beaux messieurs ont pris le parti
de la somme mauvaise sans qu’aucun autre desir les
tienne que paraitre. Et de fait ils ne meurent pas.
Provisoirement, car il faudra bien mourir. Mais ce
jour la ils accuseront la mort d’assassinat.
II ne faut pas les blamer; si la vie est sans raison ou du
moins s’il n’y a pas de raison de vivre, le passage a l’etat de mort
revolte instrinctivement tout l’organisme. La belle lachete du
snobisme suicidomane n’est pas pire que celle de l’homme qui
revenu de toute raison de vivre ne se tue pas. La maitrise de soi
s’arrete sur ce seuil. Ne se suicident que ceux qui ont une
maladie ou un honneur incurables.
Et cette lachete avouee et la mort qu’on ne regarde pas en face,
il faut bien vivre puisque ga continue. On s’est adjoint une
petite compagne muette qui ne montre sa tete que dans le silence
—Horreur du vide, voyez Epouvante de la mort. Afin de ne
pas la voir et de n’y pas songer il faut se faire du bruit. Le
bruit qui ressemble a celui des hommes qui font du bruit sans
savoir qu’ils en font.
Toutes ces paroles pour en arriver a ceci: Connaissant la
doublure unique de tout le vestiaire art, comment puis-je encore
ecrire un poeme ou une piece de theatre? Il n’y a rien a dire,
rien a ecrire. Rien n’existe que les mots—et leur definition est
inutile, comme la definition de ce qui existe en dehors de nous
et ne se traduit cependant que par les mots. Il n’y a done pas
de realite—sauf ce mot. Le dictionnaire suffit—encore est-il
de trop.
Je me suis avoue ce reproche, non devant mon miroir qui sait
a quoi s’en tenir, mais devant le miroir de quelqu’un d’autre. Il
ne s’agit ni d’user de dialectique ni de parler d’art qui n’est pas
de l’art. S’il y avait quelque chose de degoutant cela serait
degoutant. Mais je me moque des mots—et du reste.
Je ne fais cela que pour me faire du bruit. Pour ne pas avoir
peur et ne pas voir ce visage qui sent mauvais.