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ÇA IRA !
à juste titre que la Patrie devait les
mieux payer que les fainéants se mor
fondant en première ligne... Et ils sont
sortis de la guerre, ceux-là, solidement
syndiqués ; des exigences inassouvis-
sables et sans cesse croissantes ; une
large gueule et l’esprit vide...
Les soldats, les vrais ? Ils sont morts,
la plupart. Les autres sont brisés, n’ont
plus qu’un courage très exténué, et se
laissent vivre, pensant — fort justement,
sans doute — que ce n’est plus à eux de
combattre et que d’autres doivent
"‘entrer dans la çarrière,,. Evidemment.
Voilà pourquoi nous ne sommes plus
que quelques-uns qui tentent de tenir
vivant l'espoir ; quelques-uns moqués
par ceux qui en 1914 ont trahi la cause
de l’humanité ; quelques-uns à la foi
ardente, et qui passent la tête haute au
milieu de l’indifférence générale. Nous
sommes ce qu’on appelle — en souriant,
je l’accorde — les “partis avancés,,,
les “ révolutionnaires ,,, ou, suivant la
mode dernière, les “ bolchevistes „.
Quels sont-ils, ces “ partis avancés,, ?
Il y a d’abord, le socialisme officiel,
qui, à notre avis, n’est pas beaucoup
plus “ avancé ,, que le plus rétrograde
des partis bourgeois. C’est le socialisme
des Millerand, des Van der Velden, des
Ebert. Pauvres socialos, devenus lèche-
bottes du capitalisme ! — Cela doit te
réjouir, Millerand, d’être l’humble servi
teur du Grand-Maréchal Foch ? Et toi
donc Van der Velden, trouves-tu que
les valets du roi de Belgique soient si
méprisables ? Et on a fort heureusement
pu se débarrasser de Liebknecht et
Eisner, n’est-il pas vrai, Herr von Ebert ?
— Qu’avez-vous donc fait de votre
intransigeance socialiste, vous tous ?
Vos belles théories, où ont-elles donc
passé ?...
A côté du socialisme officiel, encore
en partie conduit par lui, se dresse
l’immense mouvement syndicaliste. C’est
le parti “ des masses „ parti disposant
d’une énorme force à cause du nombre
de ses prosélytes, une force de laquelle
toute action révolutionnaire devra tenir
compte, quelle qu’elle soit, mais dont il
ne faut rien attendre immédiatement,
tant qu’elle sera conduite, en partie par
le “ socialisme officiel,,, et en partie par
quelques démagogues, énergumènes
sans culture qui se contentent d’exciter
ce qui, précisément, constitue un défaut
de ia classe ouvrière : l’âpreté au gain.
Car s'il est vrai de dire que l’ouvrier n’a
plus son idéal révolutionnaire de na
guère, il n’est pas moins certain que ses
exigences en matière de salaires sont
allées toujours croissant. Le mauvais
ouvrier prétend gagner autant que le
bon, et le bon veut gagner plus que le
mauvais ; les syndicats rendent possible
l’obtention de toutes les augmentations
exigées ; d’où, cercle vicieux, ayant pour
conséquence inévitable la hausse con
stante des salaires et du coût de la vie.
— Qu’on n’aille pas croire, toutefois,
que nous sommes ennemi du syndica
lisme : nous savons qu’il est nécessaire,
indispensable, pour contrebalancer la
toute-puissance néfaste du patronat.
Mais, en l’état des choses actuel, il con
vient de ne pas s’exagérer son influence :
tant qu’il faudra obtenir des avantages
pécuniaires, les syndicats marcheront, et
déploieront leur force d’inertie qui est
terrible. Mais pourra-t-on compter sur
eux le jour où il faudra lutter pour la
réalisation d’un idéal autre que la pièce