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souffle de vent dans les feuillages et communiquer un
frisson à l’eau morte d’un lac.
Picabia n’a pas suivi l’École des Beaux-Arts ; il a
médiocrement usé de l’étude d’après le plâtre. Le modèle
vivant fut son grand éducateur : le corps humain, le nu
placé sur la table d’un amphithéâtre d’académie ou bien
dans l’atmosphère recueillie de l’atelier personnel lui apprit
à mettre une figure dans l’air comme un arbre vit et respire
au sein de la nature, comme un poisson fait partie de la -
glauque ambiance sous-marine.
Picabia passa de longs hivers à peindre des ensembles
le matin et, le soir, de 5 à 7, à dessiner les multiples croquis
auxquels je prends ceux-ci.
Je fus le témoin de ces heures de précieux labeur car
je travaillais à la même académie et nos chevalets furent
souvent placés l’un à côté de l’autre pendant de longues
séances de travail.
Mais dès que les frimas se dispersaient au vent de la
sève, dès que l’ennui pesait sur son esprit studieux, Picabia
quittait l’atelier, les modèles, les patrons, qu’il n’admirait
pas du reste; il oubliait les indigestes théories plastiques
pour courir à la grande conseillère des paysagistes, vers la
nature à laquelle il demandait les leçons que seule peut
donner la lumière passant sur la mer ou sur les fron
daisons.
Picabia exposa son premier grand tableau au Salon des
Artistes Français en 1894, et cela pour faire plaisir à sa
famille, il n’avait pas 17 ans. Et j’évoque avec un charme
puissant de souvenir cette vue des Martigues comme son
tableau de l’année suivante qui représentait, au delà d’un