JACQUES POREL
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LE TERRAIN BOUCHABALLE,parÆax Jacob. (Emile Paul édit.).
Jean Giraudoux écrivait l’autre jour, que c'est après s’être lancé à
l'aventure sur son papier et en avoir couvert un grand nombre de feuil
lets qu'il s’avisait de regarder autour de lui. D'elle-même son âme se
racontait, nous avouait-il.
Au fond Max Jacob procède-t-il avec moins de naturel ? Il est tout
aussi décidé à ne pas se plier aux règles d’une construction, d'un
choix qui tariraient sa veine puisqu'ils sont contraires à son tempé
rament.
Ces deux grands artistes baignent, de toute leur sensibilité, dans
le monde extérieur. Pour eux se laisser aller est une discipline.
Mais Giraudoux est un visuel. Ses livres nous font voir un univers
que l’étonnante perspicacité de ses yeux myopes ont déformé en le
pénétrant jusqu’au delà du compréhensible.
Par Max Jacob, plus simplement, nous entendons. C’est l’oreille la
plus prodigieuse que possède le roman contemporain. Nul n’est plus
apte à enregistrer tous ces bruits, à traduire dans son style ces mille
intonations qui forment la voix humaine. Tous ses livres passent ainsi
par le « Haut parleur Max Jacob ». Chaque être inventé par lui nous
parvient avec sa phrase, son timbre, son élocution.
Cela seul est une grande originalité. On était parvenu à faire vivre
devant nous des personnages, en nous les montrant. Max Jacob, lui, a
si bien su nous habituer au sortilège de son art que dès que paraît un
nouveau roman de lui, déjà nous écoutons.
Cette attente n’a jamais été mieux récompensée que par Le Terrain
Bouchaballe. On sent après cette lecture que depuis longtemps l’auteur
vivait avec son livre, mêlé aux personnages qu’enrichit son incroyable
générosité.
Suivre ces braves gens dans tous leurs détours. Savoir vous inté
resser à tous leurs actes, les plus extrêmes, les plus futiles, les plus
absurdes. Parvenir à nous faire prendre la vérité pour la fantaisie, la
charité pour l’humour 1 Tour de force que réussit à tout coup ce nouvel
et étourdissant Offenbach. J ACQUES POREL.