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Quand nous fûmes suffisamment délassés, nous descendîmes de
notre butte et nous joignîmes une voie de chemin de fer qui passait
non loin de là. Nous la suivîmes quelques minutes jusqu’à un point
où commençait un viaduc que nous voyons s’allonger sur la plaine, à
perte de vue. Vers la droite nous en remarquâmes une seconde qui
décrivait mille courbes, montait et descendait en empruntant par
endroits un autre viaduc fort élevé et à arches fort espacées qui res
semblait plutôt à une suite de ponts suspendus aboutés. Sur une cer
taine longueur, ce viaduc se superposait au premier, surplombant le
sol de cent à cent cinquante mètres. Ce chemin de fer extrêmement
accidenté, appelé « Rapide de la Reine », formait un circuit fermé
d’une longueur approchant un kilomètre ; il avait, m’apprit-on, été
construit pendant la guerre par l’armée américaine, tant pour le
transport des troupes que pour l’essai de nouveaux types de locomo
tives. Un train stationnait non loin de l’endroit où nous nous trou
vions. Nous résolûmes d’y monter pour faire un tour de circuit. Au
moment où nous nous disposions à y prendre place, il démarra. Je
le rejoignis à la course et je m’accrochai à la dernière voiture qui
était un wagon à impériale découverte. Le train prit de la vitesse. Je
n’étais guère rassuré car je risquais de tomber à chaque instant. Lors
que l’on commença à rouler sur le viaduc, je fus pris de vertige. On
arriva alors à une montée si abrupte que la locomotive n’eut pas la
force de la gravir et que le train s’immobilisa au beau milieu. Je me
trouvai suspendu entre terre et ciel, la tête en bas, cramponné des
jambes et des mains aux saillies du wagon. Ma situation critique se
prolongeant, je sentais mes forces s’amoindrir peu à peu et j’envisa
geais avec terreur le moment où elles allaient me trahir tout à fait.
Les occupants de l’impériale poussaient des cris épouvantables. Un
des moins robustes lâcha prise et alla s’écraser sur le sol d’une hauteur
que je n’osai pas évaluer. Je vis qu’on l’emportait sur un brancard.
Je crois bien que c’était l’élève officier de réserve Lyon, du 104 e régi
ment d’infanterie. mais je n’en jurerais pas. Cependant, à l’aide de
cordes et de poulies, disposées là en prévision d’un semblable accident,
on arriva à remorquer le train qui effectua le reste du trajet sans en
combre. Avec quel soulagement mis-je le pied sur le sol !
J’étais quelque peu brisé et étourdi ; mais je me remis assez vite.