NOTE
Les années 1870 et 1871, semblables à celles que nous
venons de vivre, ont vu instruire les deux grands procès inten
tés par l’homme jeune au vieil art. On trouve les éléments de
l’un d’eux dans une lettre de Rimbaud datée du 15 mai 1871
et publiée dans la Nouvelle Revue Française le 1 er juin 1912-
Restent les introuvables « Poésies » d’Isidore Ducasse, ouvrage
dont ne semble exister que l’exemplaire de la Bibliothè-
que Nationale sur lequel, Léon-Paul Fargue et Valéry Lar-
baud se sont documentés. Littérature, dans ses numéros 2
et 3, les reproduit, aussi pour couper court aux insinuations
de ceux qui, ne redoutant pas une solution trop simple,
classent le comte de Lautréamont parmi les fous. Si, comme
le demande Ducasse, la critique attaquait la forme avant le
fond des idées, nous saurions que dans les « Poésies », bien
autre chose que le romantisme est en jeu. A mon sens, il y
va de toute la question du langage, Ducasse se montrant
d’autant plus apte à relever le tort que lui font les mots (« Je
vous demande un peu, beaucoup ! ») et les figures (faire le vide
sans machine pneumatique) qu’il possède à fond la science
des effets (« Allez, la musique. »). En conscience, le besoin de
prouver constamment par l’absurde ne peut être pris pour
un signe de déraison. Voilà assez longtemps que Eaudelaire
a revendiqué le droit de se contredire : j’admets que les
Poésies d’Isidore Ducasse suivent et réfutent les Chants de
Maldoror. J’ajoute qu’elles ne leur sont en rien comparables,
donc point inférieures, puisque les deux fascicules imprimés
n’en constituent que la préface, ne peuvent passer que pour
un Art Poétique et que le recueil demeure jusqu’à ce jour
inconnu.
ANDRÉ BRETON.