capables, en somme, de construire le plus vaste paquebot, une des plus rapides
locomotives, des barrages puissants, des ponts audacieux ; des artisans qui, au
fond des campagnes, maintiennent un idéal de perfection.
La Suisse est le seul pays qui, avecla Belgique, oppose aujourd’hui des peintres
à ceux dont nous nous honorons.
Jeunes peintres, vous n’avez pas désespéré. Vous saviez que le monde nous
enviait la grandeur de La Fresnaye, le sentument de Vuillard, la franchise de
Valadon, l’imagination de Dufresne, la féerie de Bonnard, le luxe de Matisse,
l’espièglerie de Dufy, la noblesse de Segonzac, les nuances de Marquet, les accents
de Rouault, le désespoir d’Utrillo, les arabesques de Friesz, les vrolences fauves
de Vlaminck, le goût de Braque, la pureté de nos maîtres populaires. Vous saviez
que dans les musées français, largement ouverts désormais à l’art indépendant par la
volonté d’une Direction des Beaux-arts éclairée, vous savrez que dans les musées du
monde entier, en particulier les musées suisses depuis su longtemps favorables
à la peinture vivante, le public était convié à prendre connaissance de vos recherches.
Le bel exemple du musée de Grenoble, auquel nous avons la chance d’emprunter
les pièces capitales de cette exposition, aura porté ses fruus, le bel exemple de ce
musée qui, grâce à une municipalité éclairée, grâce à l’enthousiaste énergie de
son animateur Andry-Farcy, s’honore d’avoir été le premier en date des musées
d’art vivant. Vous saviez qu’allait cesser le divorce qui, depuis plus d’un siècle,
depuis le romantisme, sépare l’artiste de la Société, le divorce qui, si longtemps.
opposa l’art véritable à l’Etat.
Il n’est pas impossible que l’art individuel, issu du romantisme, dont les
expressions les plus diverses ont occupé la peinture soit aujourd’hui dépassé, si
la société qui fut si favorable aux indépendances de l’esprit est relevée par une
autre qui permettra à l’artiste de ne plus produire des œuvres sans destination.
L’art n’a jamais été aussi grand que lorsqu’il répondit aux suggestions d’une
volonté, à la demande d’une élite, à l’appel d’une for. Les révolutions, les malheurs
d’une nation ne trouvent pas obligatoirement un Delacroix pour peindre La
Liberté sur les Barricades ou La Grèce expirante sur les Murs de Missolonghi.
Mais la France est le pays où, cinq ans avant 1789, David rassemble le volonté
du peuple dans l’image implacable du Serment des Horaces. La peinture aspure
désormais à la discipline. « L’art est toujours le résultat d’une contrainte, du
André Gide. Croire qu’il s’élève d’autant plus haut qu’il est plus libre, c’est croire
que ce qui retient le cerf-volant de monter, c’est la corde. » Comment ne pas
appliquer à la peinture ces lignes où Aragon, dans ses vers, si nouveaux d’être
anciens, retrouvant la cadence et l’esprit de la France, livre les beaux secrets de
son métier de poète ? « Il n’y a poésie qu’autant qu’il y a méditation sur le
langage, et à chaque pas réinvention de ce langage. Ce qui implique de briser
les cadres fixes du langage, les règles de la grammaire, les lois du discours.
C’est bien ce qui a mené les poètes si loin dans le chemin de la liberté, et c’est
cette liberté qui me fait m’avancer dans la voie de la rigueur, cette liberté
véritable. »
La France demeure par excellence la terre où l’on pourra toujours, comme le
souhaitait Cézanne, « refaire le Poussin sur nature ». Et ce n’est pas par l’effet
d’un hasard que le destin nous venge de nos catastrophes militaires, en faisant
naître Fouquet l’année même de la défaite d’Azincourt, et en guidant la main de
Renoir, trois ans après Sedan, vers le miracle de la Loge.
Jacques GUENNE.
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