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LE CORBUSIER
… C’est à ce moment que Léger, ayant peint ses tableaux la situation était franche ; il fallait tirer l'œil : la géométrie
« mécaniques », poursuit sa découverte du monde moderne renaissait ! |
et se sent en puissance de participer comme peintre, à Léger, peintre, mesure cet événement pictural : la
ce grand courant, chaque jour plus envahisseur, qui est couleur n’habille plus des formes ; la couleur faisant état
le phénomène architectural contemporain : d’'innom- de ses qualités purement spécifiques, compose sur ces
brables objets nouveaux naissent sous le signe d’un nouvel bases fondamentales en vue de capter l’œil. Une grande
esprit ; la production générale de l’époque nous arrache leçon de peinture s'ébauchait. |
au passé et nous projette dans un cycle imminent. Aujourd'hui, 5 ou 6 ans après, les pistes automobiles sur
Léger aspire largement l'air du temps ; c'est un instinct les chaussées de Colbert ou de Napoléon, sont devenues
chez lui; il s’écceure dans la tour d'ivoire de la peinture. des leçons de peinture. Et partout, nous sommes tentés
La vie se précipite violemment en ces temps-ci ; il veut de dire : « Tiens, voilà un Léger ! »
en être. A chaque pas, le voilà commotionné. Cendrars Ça n’a l’air de rien.
et lui, pendant des années, ont tiré des bordées dans ce La couleur, au lieu d’habiller, agit par son seul moyen.
monde d’après-guerre, humant les odeurs d’un nouveau Ca n’a l'air de rien? C’est un art nouveau. Et cet art,
printemps. déjà, a existé autrefois, lorsque la peinture était près de
Picasso et Braque avaient découvert la poésie enfoncée l’architecture — jeu savant et magnifique des formes sous
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1926. LES TROIS FIGURES.
dans les objets de la vie de chaque jour ; les articles du la lumière ; jeu savant et magnifique de forces colorées,
bistrot -— sans qu’on s’en doutât peut-être assez — expri- mouvantes sur la surface du mur...
malent un état de profonde culture. A leur suite, une élite ... Léger, touché par I'architecture, a dépassé les diago-
décillée admit la découverte ; une floraison d’art magni- nales tumultueuses de la mécanique ; le tumulte ne sera
fique en résultait. Léger et Cendrars s’en allaient ailleurs, plus dans le dessin. Le tumulte va naître des mouvements
leur nez flairant autre chose. Ça n’a l’air de rien. Pourtant en avant ou en arrière des couleurs. Il compose avec cette
ils allaient ailleurs ; une vision autre naissait ; aujourd’hui dynamique-là. De ses aspirations architecturales il a
les témoins sont innombrables et nous sommes dotés gardé l’angle droit qui ordonne cette circulation avant-
d’une optique autre. arrière de la couleur.
La grosse commotion, Léger la ressentait à ce premier Cette peinture est sœur de l'architecture. Voilà l'apport.
Salon de l’Aviation qui suivit la guerre : apparition éton- Mais cela reste, profondément, de la peinture.
nante mais indiscutable d’organes neufs, formes, couleurs Le lien est tel, si impératif, que Léger, de tous les
tout autrement aménagées et conditionnées et un élan peintres produisant aujourd'hui, est celui dont les tableaux
vers quelque chose. exigent une architecture nouvelle. Celui dont les tableaux
Puis on vit, aux sorties de Paris, naître le nouveau décor exigent un cadre d'époque, conforme et de même nais-
automobile, cet embryon d'alors, — quelques garages sance : alors que partout les tableaux des maîtres contem-
et des caisses d’essence, quelques façades couvertes de porains supportent, par les lois de leur origine profonde,
publicité. la gamme sourde du bistrot (les faux bois, la présence des architectures précédentes, Léger fait
les faux marbres, les silhouettes goudronnées de l’étain) scandale. Il est le peintre d’aujourd’hui a qui il faut une
remplacée par une gamme éclatante de lignes géométriques; expression spirituelle nouvelle de l’architecture. °