Christian Schad, Onéirodynie en Kova, 1919

Avec Christian Schad, la scène dadaïste se déplaça de Zurich à Genève, seconde métropole Dada dans la Suisse neutre, pendant la Première Guerre mondiale. À Zurich même où l’Allemand Schad s’était réfugié en automne 1915, il créa – dans une forte proximité personnelle et artistique avec Marcel Słodki – une œuvre graphique considérable, présentée dans des galeries, pour soutenir le magazine pré-dadaïste Sirius de Walter Serner. Sans avoir participé aux manifestations du Cabaret Voltaire, Schad continua ses activités à Genève à partir de la fin de 1916, et « dadaïsa » la ville jusqu’en 1919/1920, aux côtés de Serner – « unique et meilleur ami » – avec des expositions et un « Bal Dada ». De son côté, Serner élaborait de grands canulars dadaïstes en multipliant les fausses annonces, comme celle d’un « Congrès mondial Dada » ! Son manifeste Letzte Lockerung (Dernier relâchement) donna son orientation au mouvement.

L’étape décisive vers l’abstraction fut, pour Schad, la publication d’une série de bois gravés. Tzara se les fit envoyer par la filière dada de Genève et les utilisa pour illustrer les éditions de luxe des magazines Dada 4-5 et Der Zeltweg (les deux en 1919). La gloire artistique arriva pour lui avec ses expérimentations photographiques aboutissant, à l’automne 1919, à une série de 31 photogrammes. Ces « photographies sans appareil photographique » étaient obtenues en plaçant les objets à reproduire sur une surface photosensible (papier photographique) et en les exposant ensuite directement à la lumière. Le procédé n’était pas nouveau et remontait aux débuts de la photographie ; mais sa redécouverte par Schad – et un peu plus tard par Man Ray et Laszlo Moholy-Nagy – entraîna dans la photographie un saut qualitatif durable. L’attrait du dadaïsme réside dans le choix aléatoire de matériaux de tous les jours et dans leur agencement prétendument hasardeux, avec un effet iconographique relativement indépendant. Serner et Tzara reconnurent d’emblée l’importance de ce jeu photographique miniature. Un portrait subtil apparaît dans une de ces « schadographies » (comme Tristan Tzara devait appeler plus tard ces photogrammes) publiée dans Dada 7 (Dadaphone) en mars 1920 : son titre Arp et Val Serner dans le crocodarium royal de Londres transcende la banalité du processus « peut-être dans l’extraordinaire, peut-être dans le néant » (Schad) ; il reste tout aussi mystérieux que l’Onéirodynie en Kova.

Avec ses reliefs de bois qui ont fait exploser le format iconographique traditionnel (de manière comparable à Jean Arp et Marcel Janco), Schad livra une preuve de plus de sa quête passionnée pour de nouvelles possibilités conceptuelles de présentation. Tournant le dos à la peinture à l’huile, il peignait ses reliefs avec de la laque industrielle Ripolin. L’irrégularité de leurs formes et l’application partielle d’objets quotidiens suggèrent leur parenté avec les schadographies. Ces reliefs sont restés stockés 45 ans dans une remise à Genève, tandis que les photogrammes constituaient le « Trésor Tzara » : intermédiaire usurpateur et collectionneur maniaque, il ne répondit jamais aux demandes de restitution de Schad et garda toute sa vie les schadographies chez lui. Des décennies plus tard, la passion pour la technique du photogramme reprit à nouveau Schad et il reconstitua un corpus schadographique à partir des années 1960.

Inscription au crayon au verso du carton : « T.T. » [Tristan Tzara]. Au Kunsthaus Zürich se trouvent quatre schadographies de 1918. Provenance : don de Hans Bolliger à la Vereinigung Zürcher Kunstfreunde, 1980. Acquisition de Bolliger en 1965, par échange avec Tristan Tzara contre un exemplaire de l’affiche pour la Soirée Tristan Tzara au Zunfthaus zur Meisen (DADA V:47).
Premières expositions : Düsseldorf, Kunsthalle, Dada. Dokumente einer Bewegung, 1958. Amsterdam, Stedelijk Museum, Dada, 1958/59. Berlin, Akademie der Künste, Tendenzen der Zwanziger Jahre, 1977. Zurich, Kunsthaus, Dada in Zürich, 1980.


→ Marcel Słodki, Affiche pour l’ouverture Künstlerkneipe Voltaire, Gr.Inv. 1992/99
→ Marcel Janco, Affiche pour la Soirée Tristan Tzara au Zunfthaus zur Meisen, DADA V:47