ÇA IRA !
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lin album de Floris Jespers
Ce fut peu de jours après l'ouverture
du morne Salon triennal que Floris
Jespers publia cet album. Ainsi son geste
affirma que malgré l'inepte boycottage
des jurys officiels, le nouvel art plastique
est intensément vivant et qu’après de
laborieuses recherches les peintres
expressionnistes ont dès à présent
atteint la période des réalisations. Leur
art s'est définitivement dégagé des
tâtonnements et des incohérences qui
accompagnèrent ses débuts. Les lois
essentielles de la peinture ont été en
partie retrouvées, en partie découvertes,
et c’est en se basant sur elles que
l’Expressionnisme pourra réaliser le but
qu’il s’est assigné.
Ce qui ne veut nullement dire que
l’évolution soit achevée et que le stade
actuellement atteint ne soit plus suscep
tible de développement. L’art doit être
la réalisation plastique de la conscience
d'une époque (seul moyen d’arriver à un
“ style „). Il se renouvelle donc à mesure
que les idées se transforment et ainsi
l'histoire de l’art est une évolution con
tinue qui ne comporte pas de conclusion.
L’art de Jespers se conforme à cette
règle : il est un perpétuel acheminement
vers de nouvelles possibilités. Chacune,
de ses manifestations marque un progrès
sur les précédentes et suggère à son
tour un nouvel et supérieur effort. Voilà
pourquoi l’album qui paraît aujourd’hui
et qui contient six linos gravées en
1919, ne représente déjà plus qu'impar-
faitement les tendances actuelles de
l’artiste. Depuis lors son art a subi une
nouvelle transformation. D’incessantes
recherches l’ont dirigé vers une plus
grande simplicité en même temps que
s’est encore accrû son sens profond.
Tel qu’il est, cet album constitue un
aperçu caractéristique de l’œuvre que
Jespers a réalisée durant l’année 1919.
A cause de cela son intérêt est considé
rable, car cette période fut une des plus
fécondes de la carrière de l’artiste. Elle
marqua son affranchissement absolu de
toute routine impressionniste et sa lente
mais progressive découverte des lois qui
sont à la base de l’art pictural. Ces lois,
loin d’être d’arbitraires formules (ainsi
qu'on se l’imagine communément), for
ment une série d’axiomes plastiques que
le peintre ne peut méconnaître sans
dénaturer l’essence même de son art.
La première de ces lois est celle qui
n’admet pour la peinture que deux
dimensions, conformément aux deux
mesures de la surface plane qu'elle doit
animer. Toute imitation trompe l’œil de
la réalité extérieure, obtenue au moyen
des trucs de la perspective, est ainsi
exclue comme étant en opposition
formelle avec la “ vérité „ de la pein
ture. De cette façon, l’observation de
cette loi provoque non seulement un
renouvellement de la technique, mais
elle transforme également de façon
complète la conception que l'artiste se
faisait de son art, puisqu’elle lui assigne
un but nouveau, exclusivement plastique.
Jespers, il est vrai, s’était — bien avant
1919 — libéré en partie des préjugés et
des mensonges de la peinture tradition
nelle et nombre de ses tableaux, quoi-
qu’impressionnistes en apparence, ne
l’étaient déjà plus dans le fond, leur
principale raison d’être ne résidant ni
dans le sujet, ni dans la fidélité de leur