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ÇA IRA !
imitation, mais dans leurs qualités intrin
sèques d’équilibre, d’harmonie et d’ex
pression. Seulement, ces qualités subis
saient encore la contrainte d’une forme
tyrannique et fausse qui empêchait leur
libre épanouissement. En 1919 Jespers
consomma la rupture avec le passé et
conquit enfin les éléments de son métier
expressionniste. Désormais il eut luci
dement conscience de ce qu’il n’avait
fait que pressentir jusqu’alors.
Ce qui frappe dès le premier coup
d’œil en contemplant cette série de
linos, c’est leur extraordinaire variété,
non seulement d’aspect mais aussi d’in
spiration. C’est que l’artiste n’a pas
voulu publier une collection de gravures
d’une tendance uniforme et exécutées
toutes à l’aide du même procédé. Il a au
contraire voulu donner un témoignage
des infinies possibilités de l’expression
nisme en réalisant au moyen de la seule
ressource des blancs et des noirs six
œuvres qui, bien que datant à peu près
de la même période, s’imposent cepen
dant par des qualités d’ordre entièrement
différent. Ce qui démontre que les lois
auxquelles nous faisions allusion plus
haut sont loin d’être despotiques ou
limitatives de la fantaisie et de la person
nalité du peintre.
Dans la préface que Paul VanOstayen
a écrite pour cet album, il a fort bien
déterminé le caractère particulier de
chacune des planches qu’il contient. Les
unes, comme “ Nu „ et “ Le Récom
pensé „ , sont purement constructives ;
d’autres, “ Les Amoureux „ , “ Fête
japonaise „, se haussent jusqu’au lyrisme
le plus expressif ; enfin la dernière,
“ Improvisation I „ , n’est autre chose
que la transposition plastique de la
musicalité de l’artiste.
A ces différences dans l’attitude qu’il
adopte pour réaliser son sujet, et qui
dépend en grande partie de son humeur
du moment et des influences qui ont
prise sur sa sensibilité, il faut encore
ajouter le contraste des motifs eux-
mêmes. Alors que dans “ Nu „ , par
exemple, le sujet est tout à fait acces
soire et simplement prétexte à une
composition quasi-architecturale, il n’en
est pas de même dans “ Fête japonaise „,
œuvre objective — bien que d’une
objectivité spéciale n’exprimant que le
caractère lyrique, l’essence des choses —
et où le thème employé conserve toute
son importance. La cinquième lino, “ Le
Récompensé „, procède à son tour
d’une inspiration entièrement opposée
à celle des dessins précédents : c’est la
représentation esthétique d’un concept
politique, mais les valeurs plastiques y
restent toutefois prédominantes.
Malgré ces divergences et ces con
trastes, toutes ces œuvres ont cependant
des caractères communs qui donnent à
l’ensemble une profonde unité. C’est que
l’artiste les marqua toutes de sa puissante
individualité. Dans toutes ses manifesta
tions, même celles qui paraissent n’avoir
entre elles aucun rapport, il affirma un
tempérament dont le rythme résonne à
travers son œuvre entier. Floris Jespers
est un passionné, qui traduit en couleurs
ardemment expressives, en courbes
voluptueuses les réactions que subit son
être au contact de la vie, non pas toute
la vie, comme dit le cliché traditionnel,
mais l’existence fiévreuse de son époque
et l’agitation éperdue de nos complexes
humanités modernes. Complaisamment