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ÇA IRA !
Doublair dans une attitude indiscrète.
Sa chair se troubla. Il murmura : Zut...
Il avait envie de rompre. Cependant il
hésitait, car il était bon d'avoir toujours
une femme sous la main.
Son ami Saturnin Laronce, celui-là au
moins, était un garçon heureux, il était
fiancé à une femme qu’il aimait sérieu
sement. Il répétait bien souvent à Pierre:
“ Ce qu'il te faudrait, mon vieux, c’est
un amour qui se porte dans le cœur et
non le flirt qui se porte à la boutonnière. „
Il avait raison. Les quelques femmes que
Pierre avait rencontrées n'avaient adoré
en lui que le dieu bouc ; mais autant il
savait être indécent avec ces dernières,
autant il était indécis en présence de
celles qui faisaient tressaillir son cœur.
Pierre Lortie avait un malheureux
caractère. Il pliait comme un jonc sous
les embûches du démon et d’une manière
presque constante tout se tournait
contre lui. C’était un névropathe. Non
seulement il ne savait pas s’adapter aux
circonstances, mais même, organique
ment, il ne savait pas se conformer à
l’ordre naturel. Ses nerfs agacés le
menaçaient de déchéance s’il continuait
à se confiner dans une existence de
sybarite.
A ce moment, quelqu'un frappa à la
porte.
Pierre se leva, la tête lourde, le pied
endormi : “ Entrez... „
Une servante entra :
— “ Monsieur Pierre, c’est une lettre
pour vous. „
— “ Donnez. „
— “ On attend une réponse. „
— “ C'est bien, laissez-moi une mi
nute. „
Pierre, du bout de l'index, ouvrit
l’enveloppe et lut ces mots :
Cher ami,
Je suis libre ce soir jusqu'à
dix heures. Veux-tu te trouver à
8 heures au rendez-vous habituel.
Cela me ferait grand plaisir,
Angèle.
Alors Pierre Lortie résolut, une fois
de plus, de refaire sa vie. Il prit un bout
de papier et écrivit :
“ Impossible, chère amie, je dois
assister, ce soir, à un match de boxe. ,,
La servante disparut.
Pierre se félicita de son prétexte
comme d'une fine plaisanterie. Cet inci
dent avait introduit dans sa journée un
élément de distraction. Il alluma une
cigarette et songea une dernière fois à
Angèle en disant : En voilà encore une
qui va me prendre pour une rosse.
Paul NEUHUYS.