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MÉMOIRES D’UN DADA BESOGNEUX
C’est un homme doux, timide, modéré
dans son esprit, tempéré dans ses goûts,
avec de petits besoins et de petites rentes,
célibataire et campagnard. Cet emploi de
son argent lui parut louable : au bout de
quelques années, ne devait-il pas toucher
des revenus réguliers, une retraite, comme
un fonctionnaire ? N’est-ce pas, aux yeux
de tous les Français, une sorte d’anoblis
sement de la personne que de bénéficier
d’une pension de l’État ? Et M. Rose enfin
était le plus sage de ces Français ; jamais
on ne lui avait entendu dire le moindre
mal du gouvernement, qui après tout l’a
laissé toute sa vie bien tranquille. Il vivait,
raisonnablement heureux, sur un coin de
terre, sans souci du lendemain, se chauf
fant en décembre au feu de son foyer,
jouissant au printemps, avec inconscience
et sincérité tout à la fois, un peu à la façon
des Turcs, de la splendeur du ciel frais, de
l’éclat neuf de l’herbe, de l’odeur des fleurs
et de la glèbe. Il est toutefois devenu un