L’ŒUF DUR
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DRIEU LA ROCHELLE
Avènement d’un prince décapité
A vingt ans, Régis recevrait la couronne et serait maître
de sa ville. Tel est le sort promis aux hommes par les mirages.
Auparavant, un incident tomba dans une de ses journées
remplies par des lectures monotones. Le désir sortit de sa per
sonne fragile comme le frelon de la fleur, et la femme, troublée
par sa figure studieuse de jeune nonne, le laissa entrer dans
son lit. Il y eut du gâchis, puis une sorte de rythme vint les
secourir. Plus tard, comme elle le voyait sans aucun vêtement,
elle fit la moue et se détourna vers l’image d’un athlète.
Régis surprit cette comparaison. Il ne sut jamais qu’elle avait
aimé aussi un musicien chétif. Il sentit un point faible et que
c’était une blessure mortelle à son orgueil. Rentré chez lui, il
méditait et doutait de dominer toutes les apparences.
Mais des conspirateurs font irruption dans cette histoire.
Régis se retrouve au milieu d’une cellule claire, nue, dans ses
trois dimensions plus grande que son corps, largement ouverte
sur le ciel. Point de glaces, point de livres. Il s’écrie : « Je suis
ici par ma volonté. »
Régis ne peut étreindre avec ses mains et son esprit que ce
corps dépouillé. Il tâte une dernière fois ses muscles faibles, puis
étend les bras.
Deux années. Un silence harmonieux s’accumule dans ce réduit.
Il tend et détend ses bras. Comme d’un arbre qui cherche la lu
mière, son tronc tourne autour de ses reins. Ses jambes se plient
et se déplient comme le secret d’un ascenseur. Son nombril
est le centre de mouvements austères qui contraignent la nour
riture. Ses poumons s’approfondissent et deviennent les outres
d’un dieu souffleur. Son cœur est habité par un jeune manœuvre
qui chante et puise le sang dans ses seaux. Le soleil remplit sa
prison comme un amant Spartiate.
Sous sa peau douce court la menace. Un matin, le geôlier
ouvre la porte. Il offre le bassin plein d’eau froide. Régis se
lève, lui tend les bras. L’autre frappé d’admiration s’y jette.
Régis le serre et l’étrangle. Puis il sort.
Il s’avance dans la rue au milieu de son peuple. Personne ne
le reconnaît, il se perd dans la foule. Il rentre dans son palais.
A ses serviteurs qu’étonne cette résurrection, ordre est donné