UNE PIERRE DE SCANDALE
Qu’est-ce que Picabia? Un homme ou un mythe?
Je crains bien qu’il ne soit surtout un mythe, par
ce qu’un mythe c’est beaucoup plus commode
qu’un homme, dans notre triste monde femelle où
l’on a qu’une idée, à peine né, et que l’on soit écri
vain, poète, peintre ou tout simplement aragon ou
sartre, c’est de se prendre pour un pape. Et un
pape, c’est encore beaucoup dire, et le genre mas
culin me paraît à exclure du cas de la plupart de
nos contemporains illustres, lesquels ne se sont
jamais ouverts, cavales de la notoriété — à défaut
de la gloire — qu’à ce stérile courant d’air qui s’en
va de Saint-Germain-des-Près à la rue de la Boétie.
Dans ce monde d’Emilienne d’Alençon et de pa
pesses, Jeanne des lettres et des arts, le mythe
Picabia apparaît de temps en temps, pour le héris
sement des uns et l’indignation des autres, comme
le mythe d’une vie trop grave pour qu'on la prenne
au sérieux ; je m’explique : trop lourde, trop
surdement lourde et oppressante parfois pour qu’on
ne tente pas, non de lui échapper, mais de lui im
primer sa marque d’homme, fût-ce un pied de nez,
ou un calembour — du genre pictural par exem
ple, ce qui, en 48-49, est le type même de la mau
vaise plaisanterie — Mais, je vous le demande, en
face du monde qui l’écrase, le roseau pensant n’a-
t-il d’autres ressources — d’autres permissions —
que la métaphysique et la morgue pascalienne ?
Non qu’on doive, par principe, goût ou vice secret
s’amuser aux amuseurs : personnellement je les
déteste. Mais je voudrais bien qu’une fois pour
toutes on comprenne que l’apparent détachement
et le profond manque de sérieux de Picabia sont
une tentation probablement unique pour accepter
la vie mais en même temps pour ne pas la subir.
Qu’enfin — et voici les gros mots — une certaine
éclatante impudeur à refuser de jouer le jeu, régu
lier — et encore ! — mais petit d’une carrière de
peintre seulement peintre (alors que l’homme seul,
au fond de tout, est en jeu, oui, en jeu ;) cette im
pudeur même, comme le masque du mime antique
jouant un rôle obscène au gros public et au déli
cat, est la suprême, singulière et peut-être désespé
rée ressource d’une pudeur trop profonde et trop
respectueuse d’elle-même pour vouloir se montrer
comme ça dans la maigre, pauvre, et banale évi
dence d’une fort commune mais très petite obscé
nité !
Charles Estienne.
CARNAVAL (1923).
La personnalité des peintres se manifeste plus
par leur çhapeau que par leurs peintures. Ce qui
qui est curieux c’est qu’il pensent à leur chapeau et
beaucoup à leur peinture. Voici qui donne à ré
fléchir.
L’avenir ne donnait pas le vertige à Guillaume
Apollinaire, mais il l’avait à la vue de Marie Lou-
rencin. Il l’eût pour de vrai (le vertige) lors d’un
séjour qu’il fit chez moi. Je l’emmenais faire une
promenade un peu escarpée, car il se prétendait
bon montagnard. La montée pouvait aller, mais lors
qu’il s’agit de descendre, il s’assit sur le sentier
pour mieux conserver le contact avec la Terre, et
sans le secours d’une tierce personne je n’aurais
pu réussir à le ramener.
Suzanne Ghandi.
FRANCIS
Si l’on considère combien la force de Francis
Picabia est immobilisée dans son besoin d’explosion,
on ne s’étonnera plus de voir combien cet homme
a de la finesse pour se décider en faveur de telle ou
telle femme.
Ce qui les attire ces dames, c’est son spectacle,
l’ardeur qu’il met dans tout. C’est pourquoi les
séducteurs les plus subtils s’entendent à trouver
chez lui l’exceptionnel. Le changement est plus im
portant que l’importance de ses passions, il ne
cherche jamais à se donner telle ou telle explica
tion dans ses actes, le succès ou l’insuccès sont pour
lui les réponses qu’il demande à la vie.
Je me demande s’il n’aime pas davantage les
LE LIT D’EAU (1935).
femmes que la peinture et pourtant il en a beau
coup quittées pour la peinture.
Il a eu 7 yachts, 127 voitures automobiles, c’est
peu à côté des femmes. Et ce qui est assez curieux
c’est qu’il reste ami avec toutes excepté comme il
me dit « celles qui sont trop tartes ».
Olga.
N.B. — Et voilà ce qu’il fait ; il donne le pot au
feu aux plantes et essuie sa plume aux serviettes
de toilette.
PRINTEMPS (1938).
Le MAgiCiEN
« N’être pas dupe : principe sacré pour l’esprit. »
Cette sentence d’André Suarès illustre singulière
ment la carrière et la vie de Francis Picabia qui, pas
un seul jour, ne fut dupe de personne, ni de lui-
même. Son art, toujours à l’extrême du nouveau,
porte profondément la marque de cette gratuité ;
affranchi de toute norme, aussi bien morale qu’es-
thétique, il désoriente l’amateur dont il bouscule
les concepts les plus sacrés.
Certes, Picabia n’est pas un artiste de tout repos,
et le miracle est qu’à son âge il ne se soit pas assagi
et qu’il continue à irriter ceux dont, voici trente ans,
il allumait joyeusement les fureurs. Toute fixation
lui est physiquement intolérable, d’où ce prodigieux
et perpétuel renouvellement 3e son œuvre.
De l’impressionnisme à l’orphisme, de l’orphisme
à Dada, de Dada à ses lumineuses abstractions d’au
jourd’hui, Picabia s’explique et se définit par ce
constant mystère : il n’a jamais été le même et
pourtant n’a jamais changé.
Francis Picabia : le peintre que Savonarole aurait
envoyé au bûcher parce que ses toiles éclairent d’un
jour sans égal le royaume jusqu’alors ténébreux de
la magie.
1917-1949
Pierre de Massot.
LE BEAU CHARCUTIER (1920).
Jacqueline Ghandi est secrétaire chez René Drouin,
c’est une femme très charmante. Elle prépare l’ex
position Francis Picabia avec tant de zèle et d’en
thousiasme, que cette exposition devient pour elle
une cure d’amaigrissement. Elle veut peut-être
ressembler aux tableaux dont elle s’occupe ; et
pour cela elle ne mange plus que des poissons rou
ges ft des langues de rossignols apprivoisés.
Dédé de l’Opéra
I k A
Homme libre c’est le Dieu aux pieds légers ivre
de danse, une danse dont chacune des figures trace
l’image incomparable — sans cesse reprise, jamais
achevée, un mouvement qui n’atteint jamais son
but — et si l’homme joue, du rire aux larmes il
passe, construit et détruit, indifférent à ce qui est
fait ,puisque fixé et désormais incapable de le re
nouveler et de le conduire plus loin) et soucieux
de seulement s’assurer de nouveaux points de dé
part pour nier encore, supprimer, se libérer tou
jours et s’affirmer continuellement, poussé par la
force du désir et de la volonté : le monde s’enrichit
donc d’images nouvelles, inattendues, surprenan
tes. Libre, l’homme le recrée. Le monde est sa
volonté.
Francis Picabia est un peintre à la création fa
buleuse. Francis Picabia c’est la fonction fabula
trice, ce pouvoir à qui l’humanité doit ses richesses
les plus précieuses.
Bernard Fricker.
RACCOURCI
Guillaume Apollinaire faisant la critique du Sa
lon d’Automne en 1913 disait :
« Edtaonisl et Udnie » c’est ainsi que sont inti
tulées les grandes toiles de Picabia. Elles peuvent
se réclamer de l’affirmation du Poussin : « la pein
ture n’a pas d’autres buts que la délectation et la
joie des yeux... Ce sont des œuvres ardentes et folles
qui narrent les étonnants conflits de la matière pic
turale et de l’imagination. ».
Etonnants conflits ! quels mots pourraient mieux
définir l’impression qui se dégage de l’exposition
rétrospective des œuvres de Picabia, à la Galerie
Drouin J et son esprit, toujours en conflit avec le
passé, le présent et surtout lui-même.
Œuvre^gonflées de germes, même dans la virtuo
sité et lis grâces faciles, qui luisont tant reprochées,
et qu'il étale sans remord comme une .gageure
contre l’orthodoxie et parc© que chez lui tout est
prétexte d’évasion. 1U4
L’art ne se qourrit pas de traités, de règles et de
contraintes. Il se dessèche et devient bois morts
dans l'exploitation des formules acquises.
L’Art ne commence qu’au delà des règles et des
contraintes.
L'Art commence là où commence le conflit.
Garrielle Buffet.
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PARADE AMOUREUSE (1917).
PICABIA VU AU GALOP
Picabia, né peintre, à Paris, il y a soixante-dix
ans, de père Cubain et de mère Française, rue des
Petits-Champs, où il habite encore, tout près de la
Place Vendôme, fut collégien à Paris, peignit à dix
ans, lâcha tout pour la peinture à seize ans, fut tôt
gâté, par la vie, eut, à vingt-deux ans, une exposition
retentissante, la vendit toute entière. Décida de sortir
de ce succès-là. Gaby l’y aida, peu après, en lui
prêtant une oreille attentive.
Picabia fuit en avant. L’essentiel c’est que tout
coule tout le temps. Ses périodes secrétions succes
sives, que des chocs souhaités provoquent. Certains
lui pardonnent mal un bref retour à la nature vers
1935.
Picabia ia beaucoup écrit, volumes de vers, « la
Fille née sans Mère », la « Poésie Ronron », « Jésus-
Christ Rastaquouère », etc... Il fut le compagnon de
Marcel Duchamp à New-York 1916. Temps héroï
ques. L’explosif « 391 » parut à Barcelone, New-
York, Zurich, Paris (19 numéros).
En 1918, il rentra à Zurich « Dada », Tzara et
Arp. Il fit intimement partie du Surréalisme.
Dès 1912-1913, trois toiles énormes, « Udnie »,
« Edtaonisl », « Souvenir d’Udnie », exposées en
1913, dont l’une vient heureusement d’être cueillie
par notre Musée d’Art Moderne.. Ce sont trois
grands « piliers » dans son œuvre. Puissance ri
chesse d’imagination, précision, ordre fantaisie, plai
sir invention.
Picabia, brillant conducteur d’autos rapides a eu
plus de cent voitures, toujours curieux des nou
velles.
Il a habité plaisamment sur son petit yacht dans
le port de Cannes.
Il a peint des appareils illusoires, et des machi
nes à engrenage qui s’entrebloquent mutuellement.
Il les a appliquées parfois efficacement à sa carrière.
Picabia qui s’amuse en travaillant sans effort
jusqu’à épuisement.
Picabia paradoxal qui se prend à son jeu et le
mène jusqu’au bout, capable de naïveté. On lui en
sait gré.
Picabia intense, fidèle à sa façon, doux, cruel,
insatiable, acharné vers son propre fond.
Picabia non sans sagesse. Picabia moraliste dada.
Picabia grand causeur, au sourire d’enfant, avec
une étincelle dans l’œil.
Picabia tellement d’aplomb sur ses petits pieds.
Picabia stimulant, toujours très entouré sur terre.
Picabia caballero. Picabia gangster.
Picabia trop d’esprit, dent aigiie, Picabia chirur
gien ouaté des vernissages, soudain à mots scor
pions qui parfois lui piquent la semelle.
Picabia dans la vie égoïste-généreux, que ses vic
times aiment, même lui-même une de ses victimes.
Picabia a fait un apport ; Cette exposition en
donne une idée.
H.P. Roché.
Mon ami Picabia, l’esprit le plus souple que je
connaisse, est un tireur qui trouve plus amusant de
tirer sur la patronne du Tir que de tirer sur l’œuf.
Tire-t-il sur elle ?
Non. Il craint les gendarmes.
Jean Cocteau.
Comme s’ils vivaient certains ont peur de la mort.
Marie.
Je me détruis moi-même à mesure que je vis et
c’est cela qui me fait rester jeune.
Je donne ma sève sans compter et c’est cela qui
m’enrichit.
Je suis un grand démolisseur de peinture et c’est
ainsi que le créateur en moi se renouvelle. Maître
dejnc^ruvres, je fais, défais, refais, infatigable
ment. Je fais grimace si ça maniait, et je fais
kwiiik si Iça me plaît, et je fais! mouche
i 111’en fous.
un peu comme la vie elle-même : cons-
ilus fort à peine que détruire, mais quand
fort.
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Avec du vie
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Un éternel
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Je ne suis pas un bonimentej
urTyaroux (i!I!U!Ȏ plus rare encort
peintre de'ce temps (chose très beaucoup plus rare
encore).
Je suis simplement ça, avec le geste de quelqu’un
qui n’en peut mais et un sourire qui vaut de l’or,
simplement ça, et ça est synonyme de liberté, de
lantastique indépendance. Ça (voyez peinture), sans
lois ni liens d’aucune nature, rien que ça dans la
tête, et attaché au seul attachement. Ça. Et juste
ment c’est ça qu’il fallait savoir.
Quoi ?
Michel Seuphor.
•GiqiîDIJ
: asuoday
La peinture est une création et non une produc
tion. Elle prend sa place dans la nature au même
titre que le brin d’herbe, l’automobile, ou le raton
laveur. Elle est poétique et non artistique. Elle vit
de sa vie propre et je dirais qu’elle est magique,
tant on peut la soupçonner d’exercer une infuence
sur la vie des hommes, si ce mot ne prêtait à confu
sion.
Robert Desnos.
BARCELONE (1924).
LA SAINT PICABIA
MIDI AVEC LE PRINTEMPS D’HIVER
AVEC LE MATIN QUI LÈVE SES MOUSTACHES DE RÉVEIL LAPINS
C’EST CA C’EST ÇA C’EST ÇA
AVEC LES COULEURS QUI DISENT BONSOIR EN CROISANT
LEURS BAS TATOUÉS
C’EST ÇA
LES NOIRS-VOLEUR, LES BLEUS-GENDARME
ET LES CŒURS VOLÉS VOLANTS
DANS LES FEUILLES DE VIGNE DES M’AME N’EZ Y
C’EST ÇA, C’EST ÇA
ET LES NUAGERIES MÉCANIQUES
LES TRANSPARENCES RIPOLINÉES
JUSQU’AUX ANUS DES MACHINES
JUSQU’AUX AISSELLES DES ALPHABETS
C’EST CA C’EST ÇA VOILA C’EST ÇA C’EST SAINT PICABy,.
LES ANNÉES BISSEXILES UN JOUR C’EST SAINT PICABIA
C’EST ÇA C’EST ÇA
LES TABLEAUX VIVENT DANS LES NUAGES
AVEC DES CADRES DE RIRE ET DE PLUIE
C’EST ÇA C’EST ÇA
AVEC DES PQILS DE PLUMES DE RIEN
DES PLUMES QUI DÉMANGENT
C’EST ÇA C’EST ÇA C’EST CA ;
LA TERRE LANCE SES PETITS PIEDS CONTRE LES PAROIS DE L’AIR
C’EST ÇA C’EST ÇA VOILA C’EST ÇA Cn?ST SAINT PICABIA.
Février 1948 Caimille BRYEN
EXPLICATIONS MYSTIQUES
EN — CE — PR — SA — TESE — PR ^
SA — PÉ — PR SA — PUM — PR — L’HADE
TS — CES — GRS — QD — IS NS — RASNT
NS — DCENT — NE — FAISSE — NS — RASNT
NS — DCENT — NE — FAISSE — NS — AIMS
DE — DOER — SR — EE — SS — SECS — SS
PACE — EE — ET — NE — TEE — PACÉ — MS
OU — COUNT — LS — SÉDNS ?
FRANCIS PICABIA
EPOQUE DADA
DÉCLARATION D’AMOUR (1949).