50 ANS
DE PLAISIRS
(Suite de la page 1)
fait collection de timbres, d’autant plus brillamment
qu’il a un procédé très personnel : il recopie un à
un les tableaux de Maîtres qui ornent les murs de
l’hôtel familial, et substitution faite va échanger les
originaux contre des lots de timbres chez un trafi
quant avisé. La mine complètement épuisée, il avoue
tout à son père qui lui fait cette réponse : « Au
iond tu as eu bien raison. » neponse essez matten-
due mais tout est étonnant qui touche de près ou de
loin à Picabia. Et voici le jeune Francis aux Beaux-
Arts à l’atelier Cormon d’où sortent à peine Van
Gogh et Toulouse Lautrec. L’élève peint, mais bien
plus il vit, et les contacts avec lui se passent à ce
moment-là comme toujours par la suite d’homme à
homme, et il faudra bien que l’Art s’en accommode,
en bien ou en mal et peu importe. Picabia rend
visite un jour au Maître malade qui s’exprimant
avec cette verdeur étudiée de traditionalisme d’ate
lier, lui dit :
« Je dois être malade, je dégueule de la merde ».
« Je croyais que vous ne faisiez jamais autre
chose », lui répondit le disciple bien élevé.
*
**
Picabia peint, non qu’il veuille faire carrière artis
tique, car pour lui les artistes sont plutôt des gens
qui passent à côté de la vie, et sa situation de fa
mille le dispense de « faire carrière », mais parce
que pour lui il se dit que c’est comme ça: « J’ai toute
ma vie fumé de la peinture comme d’autres ont
fumé de l’opium. C’est tout », dit-il aux amateurs
d’explications. Amoureux de la lumière solaire, il
fait pendant dix ans des paysages, saturé qu’il est
du nu d’atelier et surtout de la nature morte dont
le nom seul le fait frémir, comme on le pense aisé
ment et à laquelle jamais par la suite il ne fera la
moindre part, contrairement à la plupart des pein
tres de sa génération.
En 1895, il a dix-sept ans ; son père envoie une
de ses toiles au Salon, sans le prévenir, car seul le
plaisir compte, et jamais il n’a pensé jouer le jeu.
Mais voilà qu’on le remarque, des marchands lui
organisent exposition sur exposition, son nom est
vite célèbre et sa cote monte en flèche (Raymond
Poincaré lui passe des commandes, Georges Petit
lui fait un solide contrat). Il peint, là où il aime
vivre : en Ile-de-France, d’abord, avec une certaine
influence de Sisley, puis aux Martigues où une plus
libre connaissance de la matière l’amène à traduire
la violence lumineuse du midi dans la manière de
Van Gogh et des Fauves (qu’il ignore). Ces paysages,
il les a découverts, sortant de «l’Ecole» aux verrières
sales et aux palettes encrassées, en même temps que
l’automobile, dont il vit l’époque héroïque en pion
nier ! dès 1898 il pilote les plus monstrueux bolides
dont il enlève toujours ailes et pare-brise pour aller
plus vite, et qui feront partie intégrante de toute sa
vie, Jusqu’au jour où il en a assez et où il envoie
tout promener, amateurs et contrats. Pourquoi ?
Pour rien, parce qu’il en a assez, « comme on prend
un jour pluvieux d’hiver à Paris, le train bleu pour
se réveiller au soleil de Cannes ».
Les luxueux catalogues de ses expositions, de
MAISON MARTINEZ DE PICABIA
1900 à 1906, aux pages remplies de petits clichés
tiennent un peu de l’album de voyage, et c*est
comme ça aussi qu’il faut les voir.
Si depuis il n’a cessé de peindre, il n’a jamais
joué le jeu, et il a vécu si intensément et si libre
ment qu’il s’est fait bien des ennemis dans les mi
lieux artistiques où la vie et la liberté sont si étio
lées que les corsaires ne semblent rien d’autre que
des imposteurs choquants.
Cinquante ans de plaisirs, quelle impudence, n’est-
ce pas ? D’autant qu’il n’y a rien à faire, c’est tout
ça, cinquante ans de plaisirs, ça transperce autant
de l’ensemble de cette rétrospective que au visage
de Francis Picabia : il a le rire le plus jeune et le
moins intellectuel que je connaisse.
Je n’ai aucune envie de parler de son « évolu
tion » en historiographe, encore moins en esthéti
cien ; j’aurais alors trop peur de ce rire. Sans
doute, depuis, il est lié à tous les mouvements, et
il y en a eu, il en est à l’extrême pointe et en même
temps il y est tellement peu attaché qu’on fj!
prend pour un imposteur, et il semble convenir le
premier, et le plus gentiment du monde, qu’il ne
fait rien d’autre que tricher. Il est évident que ce
siècle considère de plus en plus mal l’individu qui
vit librement et que les nouveaux académismes, et
Dieu sait s’il y en a, considèrent de plus en plus
mal Picabia, d’autant plus qu’il s’en fout royale
ment. C’est bien évident que l’histoire de l’art de
ces cinquante dernières années est en fin de compte
contre lui, et c’est bien pour cela, car elle n’est pas
toujours très drôle, l’Histoire de l’Art, que « Cin
quante ans de plaisirs » conviennent si bien à cette
rétrospective.
Au début de notre amitié, comme je demandais a
Picabia de me montrer des « documents », il m’ap
porta un volumineux album de photographies, sou
venirs de parties de campagne aveo de jolies fem
mes, de croisières en yacht avec de bons amis, quel
ques reproductions de peinture sans ordre, perdues
parmi des danseuses de French Cancan et une série
impressionnante d’automobiles de luxe et de course.
Par contre comme je lui demandais de me prêter
ses anciens livres, aujourd’hui difficiles à trouver,
il ne put rien m’apporter et ne jugea pas utile de
s’en excuser.
Je n’avais pas l’habitdue, je connais sans doute
trop d’artistes.
*
**
Par hasard tout au long d’un dîner d’amis, Pica
bia s’en prend à un inconnu corpulent à la voix
musicale enchanteresse : ils s’engueulent ferme et
l’assistance consternée ne peut placer un mot de
conciliation. A la fin l’inconnu se lève et la main
tendue se présente : « Guillaume Apollinaire. Dé
sormais vous êtes mon ami ».
De 1907 datent les premiers paysages auxquels
l’épithète cubisme convient si mal que bientôt Apol
linaire inventera pour eux et les recherches de quel
ques autres artistes le mot Orphisme.
Les rapports Picabia-Apollinaire sont extrême
ment révélateurs (Gabrielle Buffet fera paraître
bientôt à ce sujet des notes extrêmement impor
tantes), car si ces deux hommes ont magnifique
ment communiqués sur le terrain vital, leurs tra
jectoires de météores ne se sont jamans confondues
ni même croisées sur le plan artistique. Mais quelle
truculence dans l’amitié : folles randonnées en
échappement libre que deux monstres couverts de
camboui concluent dans telles honorables demeu
res provinciales par des repas où, entre deux fous
rires, disparaissent en impressionnant charcute
ries et bouteilles devant les maîtresses de maison
effarées. Mais si Picabia admire la sûreté auda
cieuse des jugements de son ami, il sort se prome
ner au moment où celui-ci récite ses admirables
poèmes qui donneront un jour Alcool), et Apol
linaire, tout en sentant qu’il se passe quelque chose
d’extraordinaire chez Picabia, parle de ses peintu
res avec une extrême prudence dans « Les peintres
Cubistes ». Et comme ceci s’explique avec le recul:
si tel « paysage » ou « la procession à Séville »
(1912) peuvent coexister à la rigueur avec le cu
bisme issu de Cézanne, dès les grandes toiles de
1913 : Udnie, E-dtaonisl, se révèle autre chose à
quoi il ne sera pas donné à Apollinaire d’assister :
l’esprit DADA à l’état natif.
Si Picabia est « le peintre défroqué » comme il
se plaît à dire, c’est bien depuis la fin de cette an
née 1913 à partir de laquelle son activité déborde
de la plus riche incohérence anarchique. Les folles
expériences commencent, au delà de l’Art dont le
domaine semble trop limité à son insitiable vitalité.
Il rejette alors ses dons de peintre et fait pendant
cinq ans des épures à la facture glaciale, mais qui
explosent de poésie. Il écrit et va d’emblée aux
fantastiques limites du monde verbal ; les « Poè
mes de la Fille née sans Mère » unissent la poésie
à rebroussepoil des mécaniques qui ne marchent
pas (nous sommes en 1914) et du verbalisme sub
versif pré-Dada ; hommage à la machine ; tonique,
inhumainement indéréglable, source de cette nou
velle ivresse, la vitesse. Cette voie pourrait l’amener
à d’Annunzio ; c’est Marcel Duchamp qu’il rencon
tre. A Paris d’abord, où l’ascète Duchamp et la dy
namite Picabia se combinent parfaitement grâce à
ce puissant catalyseur qu’est l’Anarchie. Mais la
guerre arrive et Picabia qui n’a jamais pensé qu’a
sa majorité il pouvait opter entre ses deux pays
« d’origine » se trouve brusquement chauffeur d’un
général sous l’uniforme du soldat français de 2 me
classe. En 1915 un ami se souvenant de son ascen
dance cubaine le fait envoyer en mission en vue de
traiter une importante affaire de sucre pour l’Ar
mée Française ! Mais pour aller à Cuba il faut pas
ser par New-York et à New-York il y a Marcel Du
champ. Picabia en oublia sa mission au point qu’il
serait considéré comme déserteur si les bombes à
tout casser où l’entraîne son ami Arthur Cravan ne
l’envoyait rapidement à l’Hôpital Français... où il
fut déclaré réformé temporaire n° 2. De 1916 à 1920
il voyage en pays neutre : U.S.A., Panama, Barce
lone (1), re-New-York, Zurich ; et c’est 291, 391,
Dada, Tristan Tzara, Desnos, André Breton, c’est le
mouvement Dada à Paris en paix, qu’il lâchera le
jour où le dadaïsme semblera réussir, c’est le Bœuf
sur le Toit et « l’Œil Cocodylate », c’est Littérature,
ce sont les collages et la peinture au ripolin, c’est
Erik Satie pour qui il écrira la chorégraphie de
RELACHE, c’est en 1928 son étonnant scénario « la
loi d’accommodation chez les borgnes », c’est la féé-
rique série de peintures en transparence que Léonce
Rosenberg présentera à l’occasion d’une première
rétrospective en 1930. Inutile d’insister sur cette
période bien connue d’un fol après-guerre où Pi
cabia est comme un poisson dans l’eau. Je m’en vou
drais pourtant de passer sous silence la rencontre
Picabia-Raymond Roussel, qui eut lieu, je crois,
vers 1923. Entre gens qui se comprennent parfai
tement, explique Picabia, on n’a rien à se dire, et
quand nous nous sommes rencontrés, nous n’avions
effectivement rien à nous dire. Au moment de nous
(1) Il y retrouve Gravan. Celui-ci lui demande un jour
l’adresse de son tailleur, avec l’intention bien arrêtée de ne
pas le payer. Picabia qui a compris, juge plus prudent de
l’y accompagner. Cravan discute âprement le prix : « Gomme
va, il perdra moins », dit-il en sortant.
séparer je crus bien faire en lui posant cette ques
tion assez banale à l’époque : « Qu’est-ce que vous
avez vu à la guerre ?» « Euh, répondit Roussel
après réflexion, il y avait beaucoup (le monde ». Et
il me quitta très « Jockey club ».
J’ai dit que Picabia s’était toujours refusé à
« jouer le jeu » d’une carrière artistique. Ses volte-
faces, ses pirouettes — car il s’amuse et n’a pas
peur de l’avouer — font de plus en plus perdre
pieds aux amateurs d’art habitués aux voies droi
tes, voire à la rigueur à une logique de l’absurde
assez à la mode, mais qui frisent l’attaque d’apo
plexie en voyant Picabia pendant quatre ans, pren
dre le plus grand plaisir à inonder l’Afrique du
Nord d’afriolants nus féminins que leurs yeux ne
sauraient voir, bouchés qu’ils sont par les nouveaux
conformismes.
La plus étonnante rencontre qu’ait certainement
fait Picabia depuis Raymond Roussel est celle de
son ami Van Heeckeren, qui passait son temps à
se faire expédier comme émigrant dans les pays
les plus invraisemblables, ne pouvant vivre heu
reux qu’au milieu de gens dont il ignorait complè
tement la langue, donc rentrant en France quand
il commençait à comprendre que ces gens disaient
les mêmes bêtises que nous, pour remettre ça en
émigrant dans quelque autre pays lointain. Van
Heeckeren, depuis la guerre habite impasse Ragui-
not, ce chinatown de Paris, dans la plus grande so
litude ; invité dernièrement par ses amis à séjour
ner un mois à Genève il y a découvert... la salle
d’attente de 3 me classe de la gare où, d’après ses
lettres, il passe des journées merveilleuses.
Vous devez vous demander pourquoi je raconte
ça à propos d’une exposition de peinture : comme
ça peut-être que pour une fois ça vous changera
et vous verrez, ce n’est pas si désagréable que ça
de changer : « Imaginez des huitres copiant par
admiration des fausses perles, imitant les leurs »,
dit Picabia. Il n’y a pas que le lac à Genève.
Le qualificatif abstrait convient aussi mal aux
dernières peintures de Picabia que celui de cubiste
aux peintures de 1913. Encore plus mal si possible,
car enfin le risque cubiste avait un grand attrait
que n’a certes pas l’académisme abstrait de ces
dernières années. L’aventure de Picabia est un per
pétuel devenir, par delà tous les problèmes d’es
thétique qualitative : « la vie n’a rien à voir avec
ce que les grammairiens appellent la Beauté. Il
faut s’exprimer uniquement à travers soi-même, ce
qui nous vient des autres est encombrant, incertain
et surtout inutile ». Ceci écrit en 1921 est aussi va
lable sinon encore plus nécessaire à redire en ce
sympathique début de 1949.
Cher Picabia, vous serez toujours « celui dont les
projets sont de continuer à vivre ».
Michel Tapiè. '
15 février 1949
PROCESSION A SEVILLE (1912).
FLYING SAUCISSE
Comme les appareils ultraphoniques nous font
percevoir des sons imperceptibles à l’oreille nue,
Picabiia, dans l’ordre de la sensibilité inanalysable,
exprime des sensations jamais éprouvées ; de là le
caractère merveilleusement insolite de tous ses ta
bleaux, que ce soit « Volucelle » ou une femme nue
des plus réalistes.
Savoir vivre, voilà ce que les hommes ont le plus
besoin d’apprendre. Ils ne savent rien faire, et sur
tout ils ne savent pas ne rien faire. Ils ne savent ni
marcher, ni s’asseoir, ni manger, ni boire, ni respi
rer, ni dormir, ni regarder. Par exemple, dans une
exposition de peinture ils regardent les tableaux de
trop près et au cinéma ils se mettent tous trop loin
de l’écran. Ceux qui vont aux premiers rangs c’est
par économie, mais ils voudraient bien se payer des
places derrière, à moins qu’ils soient terriblement
myopes. ,
Ce qui est le plus urgent de leur suggérer, c est
l’oisiveté et la volupté de vivre. Leur apprendre à
rester sans rien faire. Dès qu’ils ont du temps de
libre, ils se forgent tout un programme pour le rem
plir. C’est pourtant quand on est inoccupé que l’on
commence seulement à vivre, que 1 on peut goûter
la volupté de vivre. La volupté d’être. La volupté
d’être et de ne pas comprendre. Quand les hommes
comprendront-ils que ce qu’il y a de plus meiveil-
leurx au monde c’est de ne plus rien comprendre.
Ils s’en font un tourment alors que c’est un des
meilleurs plaisirs. Quand vous mettrez-vous dans
la tête qu’il n’y a absolument rien à comprendre ;
et pas plus devant telle paire de fesses que devant
tel disque. Jouissez donc de la vie et de la peinture
sans chercher à comprendre. Jouissez. Les^ explici
tions gâtent tout. Y a-t-il rien de plus voluptueux
que de se trouver à Pékin entouré de chinore par
lant chinois, si l’on ne comprend pas un seul mot
de chinois ; car si l’on comprenait, on s’apercevrait
rapidement qu’ils sont aussi bêtes que nous.
La vie a été donnée à l’homme pour en jouir.
Le dépaysement est l’état le plus agréableftpie ce
soit le dépaysement des voyages de la peinturei^P
la littérature, de la musique, de l’amour, etc... Dé
paysez-vous en tout. Picabia dépayse mieux que
n’importe qui. Et que votre oisiveté soit pleine de
curiosité ; non la curiosité d’une concierge, mais
celle de Baudelaire qui voulait « plonger au fond
de l’inconnu pour trouver du nouveau ».
Certains se piquent à la morphine, moi je me
pique à bia.
Le mot suisse rime irrésistiblement avec le mot
cuisse.
Mes fesses voudraient bien retourner à Paris
parce qu’elles commencent à en avoir marre d’être
assises sur du bois. Pourvu qu’elles ne se mettent
pas à crier !
Celui qui ne s’ennuie jamais.
Jean Van Heeckeren.
Genève, 3 février 1949
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par MICHEL PERRIN
Picabia m’a dit un jour : « On a
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soi-même des rendez-vous très intéressants... » De
souvent avec
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quelques rend et-vous Me ce geftre sont nés les poè
mes qn’on va lire : vingt-huit ans après les Pensees
sans langage, voici Y Apothéose des mots. Le rappro
chement de ceâ deux titres ne doit pas faire crier
au paradoxe : si les Pensées sqns Zan(/ag , ^|tendaient
à supprimer l’intermédiaire des mots dans Y Apo
théose, le travail de Picabia sur lui-même JWTur le
langage aboutit à l’identification du mot^et de la
pensée. Dans ses poèmes comme dans sa peinture,
il semble que Picabia réduise jusqu’à l’anéantir
pratiquement le décalage entre l’expression et la
chose à exprimer. Comment ? C’est son secret.
On a parlé naguère de « mots en liberté ». Chez
Picabia, ce ne sont pas les mots, c’est la pensée qui
est en liberté — la pensée la plus libre qui soit, qui
se moque de tout et d’elle-même :
« Je n’ai jamais cru en moi
je n’ai jamais cru à mon esprit »
et aussi
« Les gens sérieux
ont une petite odeur
de charogne »
Picabia dit à propos de ses tableaux (mais cela
vaut également pour ses poèmes) : « Ce que nous
faisons, c’est ce dont la vie nous donne le besoin —
et qu’elle ne nous donne pas. Alors, nous le créons.»
Quand Picabia, pour une raison ou une autre, n’a
pas la possibilité ou l’envie de peindre, il s'exprime
par des poèmes ; il crée, par l’écriture, « ce dont
la vie lui donne le besoin ». Il se crée un monde per
sonnel, avec des personnages, des images, des ryth
mes, un vocabulaire, une ponctuation bien à lui.
Poésie accueillante et simple qui se donne toutes les
permissions, ne se refuse rien :
« connaissant ma force
il ne m’est plus rien de défendu »
A ceux qui seraient tentés de reprocher sa facilité
apparente à cette poésie qui coule de source, rappe
lons ces vers de Jacques-Henry Lévesque :
« décanter
laissez-moi rire
vous voulez dire
déchanter » (1)
L’art de Picabia n’est pas fait de sacrifices, selon
la recette connue. De ces sacrifices dont l’art ou le
public, sinon les deux, sont le plus souvent les vic
times... Picabia se moque des esthètes et de la mode.
Ses écrits, comme sa peinture, sont le meilleur anti
dote à tous les poncifs, à tous les pontifes... Il n’est
pas hanté, comme tant de nos contemporains, par
la peur du joli, du gracieux. Il n’hésite pas à écrire
cette chose charmante :
« J’ai pour amie une araignée
elle espère que la lune
vienfdra se prendre dans sa toill. »
Il n’hésite pas non plus devant esprit. « Etr
voyez
Parce qu’il est lucide, voire cynique parfois, il ne
faudrait pas le croire imperméable aux catastro
phes de notre temps. Je sais peu de poèmes inspirés
par ce que l’on est convenu d’appeler « les événe
ments », peu de « poèmes de guerre » aussi beaux
que ce simple passage de Dingcalari — je n’en con
nais guère où l’émotion la plus directe s’allie aussi
efficacement à l’humour le plus « noir » :
« Croyez-vous qu’en ce moment
beaucoup d’hommes prononcent
le nom de leur amour ?
si c’est cela que vous espérez
tas de crétins
je suis tolérant pour moi
vous serez bien déçus
ils disent simplement
ma petite Jeanne ou Marie,
ou Louise ou Germaine,
ou : donnez-moi une cigarette,
du reste c’est le dernier cadeau
que l’on fait au condamné à mort
on lui fait cadeau de la mort
et d’une cigarette,
l’une fait passer l’autre probablement
pourtant j’ai connu
un condamné à mort
qui avait demandé une cure-dent,
celui-là devait être un poète. »
... Tels sont quelques-uns des aspects (mais le
livre est à l’intérieur...) de la poésie de Picabia —
cette poésie qui pour lui, comme pour tous les vrais
poètes, n’est qu’un moyen de connaissance,
connaissance pure et désintéressée...
« ... le contraire
de la réputation
qui fixe les hommes
comme des papillons
sur le carton de l’opinion. »
spirituel, quelle horreur
plutôt
ces nuages idiot
•-:!( qui ne vivent que du soleil
9 et qui passent leur temps
A? à le cacher. » A
Etre spirituel et gracieuxnœmpeclïr^as d’avo
les graves accents pour parler de l’amour, car
« Aimer est la seule racine sincère »
et les trois poèmes réunis dans Y Apothéose des mots
ne sont au fond qu’un seul et long poème d’amour.
L’amour, dont il dit :
« il doit être une absurdité acceptée
pour celui qui aime
mais absolument idiot
pour celui qui regarde. »
Et bien entendu, Picabia est à la fois celui qui
aime et celui qui regarde :
« Je ne veux pas me tromper
même avec celle que j’aime. »
BÊTE ROSE (1927).