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d’excitefion intellectuelle pourl’éte 1934
par
SALVADOR DALI
Comment devenir anachronique ? J ai déjà expliqué quelque part que
— ce mot destiné à prendre une signification de plus
F « anachronisme » —
en plus ambitieuse et qui, selon moi, renferme à lui seul tout le sens du
danger intellectuel — l’anachronisme, dis-je, ne serait que l’incarnation la
plus exhibitioniste du « concret délirant » de chaque époque, lequel devient
démodé d’une façon si truculente et substantielle qu’il nous apparaît tout
P
de suite (il suffit d’un léger recul) sous l’aspect de 1’ « extravagant sensa-
tionnel », avec les caractères criards de 1’ « inouï », du « phénoménal », de
1” « aveuglement impossible ». — Mais que cherchons-nous et qu’apprécions-
nous le plus, nous surréalistes, sinon ces caractères criards de F « inouï »,
du « phénoménal », de F « aveuglement impossible » et qu’est-ce qui nous
hante avec rage sinon ce qu'il y a de plus éphémère et d’instantané dans
F « extravagant, sensationnel » ?
L’anachronisme est l'unique « constante imaginative » capable d’un
perpétuel « renouvellement traumatique » grâce auquel il devient possible
d’arracher des morceaux crus et vivants à cette chose dure et extrêmement
compacte qu’est le brouillard sentimental avec lequel sont faites les joues
mêmes du souvenir. — L' « anachronisme » est toujours un « cataclysme
sentimental » pétillant d’arrière-pensées de « peau nouvelle ». L’ « anachro
nisme », loin d’être cette prétendue « chose empaillée » inutilisable que la
pseudo-expérience intellectuelle croit inoffensive, la rejetant avec ironie
dans la « chambre des débarras d’épeques », est au contraire une chose
« vraie » et « vivante », une chose qui a de la chair et des os.
L « anachronisme » est une chose profondément sanguinaire, profon
dément biologique et authentiquement spectrale à laquelle, ainsi que vous
le savez tous par votre propre expérience vitale, il suffit qu’elle nous sur
prenne dans un moment de distraction sentimentale pour qu’elle nous laisse
la marque, dans notre chair et dans nos souvenirs, des morsures réelles de
la poésie et pour qu’elle nous arrache d’un coup de griffe de l’angoisse un
des morceaux les plus nutritifs de notre anatomie intellectuelle, au point
de laisser voir à découvert le blanc terrifiant de l’os pelé de notre propre
mort. Et je puis vous assurer que lorsqu'une chose vous transperce jusqu’aux
os avec une telle sauvage rapidité, il faut bien penser à de foudroyantes
voracités imaginatives; dites-vous aussi et encore que de telles commotions
transmises par la douleur doivent sûrement arriver jusqu’aux racines les plus