Pour très simple qu’elle soit, une vue de cet ordre bouleverse
l’univers. La psychologie, la médecine y trouveront leur compte.
Les biologistes avec leur microscope rappellent les astrologues
avec leur lunette. Les microbes, qu’on tient pour des animaux,
font avant tout figure de forces, de même que les émanations
astrales. Un jour viendra où le médecin pourra formuler son
diagnostic à la seule vue du visage du malade : un boiteux a
nécessairement dans le visage quelque chose qui boite. Mais
une trop grande sagesse risque de compromettre la paix du
monde : les anciens détenaient de ces secrets et l’on a peut-être
détruit la bibliothèque d’Alexandrie pour parer à un grand
danger. Nous ne peinons aujourd’hui que pour retrouver les
secrets perdus.
Derain parle avec émotion de ce point blanc dont certains
peintres de natures-mortes du dix-septième, flamands, hollan
dais, rehaussaient un vase, un fruit. Ce point, toujours mysté
rieusement et admirablement placé, n’a pu être aperçu par eux.
Il est en effet sans rapport avec la couleur de l’objet ou l’éclat
lumineux et rien ne justifie sa présence en matière de compo
sition. (On sait que les artistes en question fréquentaient les
laboratoires d’alchimie.) Cette observation est capitale. Si l’on
allume une bougie dans la nuit et qu’on l’éloigne de mon œil
jusqu’à ce que je ne puisse plus distinguer que sa flamme, la
forme de cette flamme et la distance qui m’en sépare m’échap
pent. Ce n’est plus qu’un point blanc. L’objet que je peins, l’être
qui est devant moi ne vit que lorsque je fais apparaître sur
lui ce point blanc. Le tout est de bien placer la bougie.
Pourquoi, dans ces conditions, ne pas signer le cadre de carton
noir qui se découpe sur le mur de chaux ? Le peintre est amené
à regarder son modèle à travers une série de cadres rectangu
laires semblables, de dimensions et de couleurs différentes. (Le
premier soin de ceux qui possédèrent des tabeaux fut de les
faire encadrer.) Sans cet artifice, comment pourrait-il peindre
le ciel qui s’étend de toutes parts au-dessus de lui ? Le cas de
Matisse est assez édifiant : il se peint maintenant dans ses
tableaux, en se plaçant par la pensée derrière lui-même. Derain
n’est point tenté pour cela de signer le cadre noir. Il importe
de prouver, démontrer, ce que le cadre ne fait pas. Si je le
donne pour autre chose que pour l’image de ce à quoi je tends,
perfection et mort il devient une figure satanique. N’oublions
pas que nous sommes obligés d’en passer par la matière. Celle-ci
vaut avant tout parce qu’elle nous désespère et parce que seul
le désespoir n’est pas stérile. (Nous ne choisissons l’art que
comme un moyen de désespérer.) C’est ce que Renoir a mieux
compris que Cézanne : à quelque examen qu’on le soumette il