BIROU
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rière mon entraîneur. Si vous ignorez
cette joie pure, je vous plains : quelques
secondes suffisent pour vous faire perdre
le sentiment de votre propre personnalité.
C’est un phénomène d’hypnose : on ne voit
plus au monde que cette petite roue d’acier
qui tourne devant vous. Ne pas perdre sa
distance, maintenir ses jarrets dans le
rythme, dans l’harmonie mobile des jar
rets qui vous précèdent, devient le souci
unique, la raison d’être de toute votre exis
tence ; la route est silencieuse et cepen
dant il semble que de ce ruban d’un blanc
jaunâtre, où la vitesse fait apparaître de
petites stries longitudinales, il s’exhale un
chant fort et singulier, j’aurais envie
d’écrire un chant silencieux, qui retentit
dans la cervelle, et la ravit. Cela dure plus
ou moins longtemps, selon votre état de
fatigue et la vitesse que vous impose celui
qui vous « tire » — un petit quart d’heure
en général ; après quoi on retrouve son
indépendance d’esprit, on redevient libre