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FAITES VOS JEUX
possède rien, et qu’à chaque instant je suis prêt à faire abandon du
peu que j’ai et même de ma vie. J’ai réduit mon ambition au strict
nécessaire. Mais tout cela n’est qu’un résultat de multiples et doulou
reuses expériences. Mon amour-propre fut trop fort, et à cause de cela,
préféra se détruire lui-même plutôt que d’être subjugué par les autres.
Que je pense cela maintenant, c’est peut-être un signe de la vieillesse
qui décolore tout, et, en somme, suis-je sûr de ne pas me tromper et
de me connaître si bien?
Mais je regarde en arrière. Mania avait l’intelligence d’un régisseur
qui savait régler les courroux et les intrigues dans le théâtre de ma
tête. Tous les moyens lui étaient familiers : les mises en scène difficiles
et les répliques inavouables m’étaient présentées sous forme de nimbe
impalpable de rêve. Certes, j’ai contribué à la pousser à faire des aveux
sur ses relations avec T. B., mais c’était toujours elle qui, connaissant
mon tempérament, en provoquait les prétextes, soit en s’excusant, soit en
pleurant sur son sort ou en accusant T. B. Souvent je poussais ma fureur
vers un éclat, dans l’espoir qu’il causât une fin. Mais qu’y a-t-il
de plus triste qu’une jalousie placée dans le domaine du passé? Alors
je revenais. Mania voulait une grande passion et craignait que la
mienne ne fût inférieure. Elle inventait des insinuations plus directes.
Un jour, elle me raconta que, pendant une promenade, un enfant était
accouru vers elle, ne voulait plus la quitter; le père qui accompagnait
l’enfant lui dit qu’elle ressemblait tellement à sa femme morte depuis
peu de temps que l’enfant l’avait prise pour sa propre mère. Quelques
jours plus tard, cet homme un peu âgé lui aurait proposé le mariage.
Mania me confia encore qu’elle inclinait à le faire, non pas pour lui,
mais pour l’enfant qu’elle aimait, et me demanda mon avis. Je lui dis
froidement de le faire si elle voulait.
Je suis honteux d’avouer que, malgré l’invraisemblance de ce qu’elle
me racontait, l’idée que je pusse descendre de la place qu’elle prétendait
m’avoir réservée dans son cœur me gênait affreusement. Si les femmes