LA COURSE CIRCÜM-ETNA
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et les verres de vin noirs qui font des trous dans le mur; des festons sont
peints sous lesquels deux femmes naïves, à la détrempe, s’affrontent avec
des courges rigides qui obligent à la plaisanterie. Une affiche du Lloyd
Sabaudo indique en gros caractères les quatre départs du mois pour
l’Amérique, avec les tarifs d’émigration.
Des hommes dansent entre eux, car il n’y a pas de femmes. Il n’y
a jamais assez de femmes nulle part le soir. Ils se présentent de flanc,
les cheveux joints, en une sorte de marche qui rappelle la promenade
des premiers tangos à figures. C’est la Jeunesse Communiste qui célèbre
sa victoire de l’après-midi dans le circuit cycliste Circum-Etna. Des
maillots rouges, déteints sous les bras, et des pneus roulés autour du
corps. Quand on passe devant le piano enluminé comme les voitures
palermitaines, on fait avec son doigt un trou dans l’andrinople par où
la valse s’échappe, ou encore on tire à soi le tapis en filament d’aloès.
Il y a de grandes bourrades, sans perdre la mesure ; on se masse les poi
gnets, on s’amuse à se retourner les doigts, ou bien à sauter, soutenu par
la taille, jusqu’aux mortadelles et autres chatteries pendues au plafond.
Sur la table, une coupe (800 % d’argent), qui est le Trophée.
Cinq cents kilomètres dans les jambes, et quelles montées et cette
farine sur la route, où un poulet à lui tout seul soulève autant de poudre
qu’ailleurs un camion de sept tonnes, ou ces dalles de lave qui cassent
les reins. A grande multiplication à travers ces odeurs de figuier chaud
et de gare qu’émet le volcan, depuis midi et l’immense reverbération de la
mer Ionienne, jusqu’à l’heure où les fumerolles soufre deviennent roses,
éclairées à l’intérieur, et il faut avouer que c’est l’Angelus.
Le classement par équipes a assuré par une avance de vingt-huit
points la victoire à la Jeunesse Communiste. La Pédale de Catane, favo
rite, aurait dû gagner, disent les journaux du soir, sans cet accrochage
douteux qui a laissé le favori fasciste étendu dans la poussière.