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L’ŒUF DUR — 13
Marie avait 19 ans. Elle n’était pas jolie, sans être vilaine.
Respectueuse, complaisante et simple, au point qu’elle rem
plaçait parfois sa mère dans la vente du fil et du papier à lettres.
Un jour son cousin, qui était sergent et en permission, l’em
brassa au cou. Elle fut un peu étonnée, dit à sa mère, qui pré
parait une tarte, que son cousin voulait sans doute l’épouser,
puisqu’il l’avait baisée au cou. On les maria.
Le jour elle veillait aux repas et aux vêtements. La nuit,
elle laissait d’abord son mari la caresser, car elle était très douce
et elle savait que c’était l’usage. Puis, murmurant une prière,
s’endormait. Son mari remplaça bientôt son père dans les fonc
tions de chef de musique. A 25 ans elle eut un enfant. Elle était
forte, saine et neutre.
Un jour où elle se penchait sur le berceau, elle eut la même
émotion que ce dimanche d’enfant où elle s’était rencontrée
elle-même. Elle tenait par hasard son cache-nez, dont elle se
servait maintenant comme de linge à vaisselle. Elle entoura le
cou de l’enfant et l’étrangla.