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ÇA IRA !
dessein n'est pas de nous réjouir de la
chute d'un ennemi, non, mais qu'il nous
soit permis de presser sur notre sein nos
frères libérateurs et de laisser flotter sur
nos foyers les couleurs glorieuses de la
patrie retrouvée. Nous rendons hom
mage à la brillante victoire zébro-
vienne. Pourtant, Excellence, il serait
prématuré de parler de paix. Notre sort
est désormais lié aux illustres destinées
de la Zébrovie et notre patrie demeure
encore mutilée d’une ou deux provinces
qui lui sont chères. Patience. Nous triom-
-pherons des difficultés, dussions-nous
une fois de plus faire appel à la
vaillance de nos miliciens. — Nous
avons à déplorer la mauvaise foi d’un de
nos voisins, mauvaise foi qui est d'autant
plus manifeste que la province que nous
lui réclamons est d’une étendue très li
mitée et est pour nous d’une nécessité
vitale. — Puissions nous arriver à une
solution pacifique, si toutefois ce genre
de négociation, qui aboutit générale
ment à un compromis, ne répugne pas à
l’honneur zébrovien „.
Monsieur le maire insista aussi sur la
nécessité de renforcer la défense natio
nale car les Hurons vaincus ne jouait la
comédie du désarmement que parce qu’
ils y étaient contraints. Puis il termina :
Mes chers adminisrrés, Landerneau est
libre, l'ère de la terreur à cessé de régner,
Le tyran est écrasé. Il ne débauchera
plus nos petites filles et après les horreurs
d’une guerre, où nous avons été entraî
nés à notre corps défendant, les temps
approchent où nous allons enfin goûter
les voluptés de la paix. „
Cette péroraison fut saluée par les
accents de l’hymne zébrovien. Ce fut
un moment pathétique. Toutes les têtes
se découvrirent. Un frisson parcourut
toutes les entrailles et de toutes les
poitrines ne jaillit qu'un cri : Vive la
Zébrovie!, Vive Landerneau!, Vive
Monsieur le Maire !
L’enthousiasme était porté à son com
ble lorsqu’un déplorable incident vint,
mettre une ombre légère à ce pittoresque
tableau. A l’une des extrémités de la
place un brouhaha s’était produit : L’in
stituteur Guimauve n’avait pas enlevé
son chapeau ! Cet acte insensé provoqua
l’indignation générale. Des bruits circu
lèrent dans la foule: “Guimauve? Mais
c’est le bras droit du tyran. „ C'était
un triste personnage. Il avait refusé
d'adopter la langue zébrovienne comme
langue maternelle sous prétexte qu’il
était trop âgé pour changer, sinon sa
façon de voir, du moins sa manière de
parler. On cria : Allons, ouste, lors
qu’un monsieur coiffé d’un chapeau
haute-forme et porteur de guêtres jaunes
s’approcha de Guimauve et fort de
sentir toute la foule de son côté, fit
voler au loin le Borsalino du récalcitrant
en déclarant: “Vous êtes un âne, votre
place n’est pas en Zébrovie, votre place
est sur la paille. „
Malgré cet incident la fête se pour
suivit jusque fort tard dans la soirée. La loi
contre l'alcool avait été levée pour qua
rante huit heures. La population escorta
le cortège aux flambeaux aux sons
joyeux du pas redoublé :
“ Nos bons aïeux aimaient à boire
Que pouvons-nous faire de mieux. „
tandis que les bals populaires s’impro
visaient à tous les carrefours.
A quelques jours de là on apprit qu’
une petite fille avait été violentée dans