18
que ». Dans la chambre qu’il avait louée à l’hôtel de la
rue Corneille il lisait Huysmans, Maeterlinck, Rimbaud.
Il traduisait Mallarmé : au contact de la littérature fran
çaise il prit conscience de sa force.
*
* *
Ceux qui le connurent nous parlent « des ténèbres de
sa pensée, du brouillard qui pesait sur son intelligence et
dont il n’arrivait que péniblement à se dégager ». Il est
vrai qu’il éprouvait une véritable difficulté à orthogra
phier correctement et qu’il lisait pendant des heures, qu’il
comprît ou qu’il ne comprît pas.
... Je m'accoude à la table, la lampe éclaire très vive
ment ces iournaux que le suis idiot de relire, ces livres
sans intérêt.
A une distance énorme au-dessus de mon salon souter
rain, les maisons s'implantent, les brumes s'assemblent.
La boue est rouge ou noire. Ville monstrueuse, nuit sans
lin !
Moins haut sont des égouts. Aux côtés rien que l’épais
seur du globe. Peut-être les gouffres d’azur, des puits de
leu ? C’est peut-être sur ces plans que se rencontrent
lunes et comètes, mers et fables.
Aux heures d’amertume, ie m’imagine des boules de
saphir, de métal. Je suis maître du silence. Pourquoi une
apparence de soupirail blémirciit-elle au coin de la
voûte ? (1)
Rimbaud fut un « détraqué », Alfred Jarry un ivrogne,
Lautréamont un fou et John Millington Synge un idiot ;
je l’entends : « Si le suis un idiot le viens d’entendre au-
lourd’hui ma propre voix dire des mots qui feraient lever
le chignon d’un poète dans une ville de marchands » (2).
A la fin de l’année 1S97 il partit en Irlande où il vécut
au milieu des pâtres et des pêcheurs le long de la côte de
Kerny à Mayo et près de Dublin, où il écoutait les chan
teurs des rues.
(1) Arthur Rimbaud : les Illuminations.
(2) Le Baladin du Monde Occidental.. (Acte III).