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EDOUARD VU1LLARD
Je suis allé l’autre matin, place Vintimille, chez Edouard Vuillard.
Les escaliers étaient cirés, le tapis fixé au bas des marches par des tringles
brillantes formait un ruban d’une propreté rigoureuse.
Après que j’eusse sonné dix fois, un petit homme vint m’ouvrir avec
de bons yeux et un de ces sourires de barbus, un sourire tout en lèvres.
Comme il ne me fit pas entrer, je me précipitai délibérément dans le
vestibule: «Monsieur Vuillard, s’il vous plait? — C’est moi, Monsieur,
dit-il, j’ai malheureusement peu de temps à vous accorder, ... voyez,
j’étais pour partir; oui, on m’a bien annoncé votre arrivée».
Je m’aperçois alors que sous sa barbe ronde, Vuillard porte une
lavalière, qu’il a sous le bras un petit portefeuille de cuir et tient à la
main un chapeau de feutre: 11 est abordable, pensé-je, en regardant
cette bonne tête. Par certains cotés, il me rappelle Raoul Ronchon,
le poète de l’Académie Concourt, avec des pommettes moins roses et
une stature plus redressée. Vuillard se tient très droit: «Dans ce cas,
je reviendrai une autre fois, veuillez me fixer un jour. J’aimerais que
vous me parliez un peu de vous, de vos peintures».
Et voilà que cet homme jovial se fait triste pour me dire: «Non,
c’est impossible». Il a l’air résolu (nous sommes toujours dans le vesti
bule, Vuillard a posé son chapeau sur un petit bahut contre le mur).
«Vous êtes bien dur, lui dis-je.» Et comme il demeure impassible, je
bafouille une phrase; «Le talent impose des devoirs.» Le voilà qui se
met à sourire: «Oh! oh! fait-il, talent et devoir, voilà deux mots dont
l’association est pour le moins plaisante»! Evidemment, je viens de sor
tir une énormité! Je lui dis alors: «C’est donc ainsi que vous nous rece
vez, c’est donc là tout l’accueil que vous réservez à un jeune homme
qui vient vous voir les mains libres. On ne sait rien de votre vie, ni quand
vous êtes né, ni ... — Voyez, fait Vuillard en baissant les yeux sur sa
poitrine; une barbe blanche». C’est le moment de le décider, pensé-je:
«Vous me dites que vous ne voulez rien me raconter de ce qui vous con
cerne, mais pourquoi? Oui, je sais que vous n’avez jamais accepté de
parler à quiconque de votre vie passée et qu’on n’a rien écrit sur vous;
on m’a dit que vous étiez très difficile à confesser, mais, pour une fois,
laissez-vous faire».
Vuillard passe sur son front le revers de la main. Il pose sa serviette
sur le bahut, à côté de son petit chapeau rond. Nous sommes toujours
à l’entrée de ses appartements. Par une porte entr’ouverte j’aperçois
une lampe, des vases, une tapisserie à fleurs. «Ça y est, pensé-je, je le
tiens.» Mais de nouveau, il se redresse, reprend son portefeuille de cuir
et son chapeau: «Non, ce n’est pas possible». — «Alors, dites-moi pour
quoi»? Vuillard hésite. A son tour, il a l’air accablé. Serait-ce la con-