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MÉMOIRES D’UN DADA BESOGNEUX
« dez-vous à gauche ! Père, gardez-vous à
« droite ! » Mais il ne se gardait ni à gauche
ni à droite, il prenait la route comme elle
était, dans toute sa largeur, étonné seule
ment qu’elle ne fût point plus large en
core ; et il allait !
« Il allait vers son but, car il en avait
un ! Là-haut, sur les hauteurs de Thiais, il
y avait un point vers lequel il se dirigeait,
vers lequel il savait qu’il se devait diriger,
Un autre cabaret peut-être. Ou bien la
maison, l’abri tutélaire qui le recevrait, où
il goûterait le repos jusqu’au lendemain.
Chaque homme a toujours un but, du
moins il le croit. Sans cette heureuse illu
sion, il mourrait de désespoir, ou, plus
horriblement encore, d’ennui. Il allait donc.
Là-bas ! là-bas ! Puis plus près. Encore
quelques pas, et il atteindrait le terme du
voyage... Cependant il ne nous entendait
point, il ne nous écoutait pas. Il n’y avait
pour lui rien au monde que son but et les
magnifiques illusions de sa cervelle.