JACQUES POREL
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c'est ce reflet, cette large tache d'ombre que leurs silhouettes pro
jettent sur lui.
Les «pions», qui, comme tous ceux qui se hâtent, manquent de temps
pour leurs entreprises, leurs écoles, furent stupéfaits. Ils érigèrent en
système ce qui n était qu’un incroyable abandon. Alors apparurent les
théories prouoticnn.es (l’affreuse expression) les rapports de Proust avec
Bergson, avec Freud, avec Dieu sait quoil Mais comment en vouloir
aux adeptes en face de l'attitude de ce grand quotidien dont les
articles d'une abjecte hostilité resteront comme un monument de bêtise
dans l'histoire de la critique littéraire.
Je ris tristement lorsque je songe qu'il m’est arrivé d’attaquer
cette œuvre devant certains émules pour l'esprit desquels l'estime me
manquait. N’était-ce pas encore une façon de la défendre? (*)I1 faut aussi
faire sa part au dangereux et bienfaisant esprit de contradiction —
seule faiblesse d'où nous sortions grandis à nos propres yeux. Devant
la gravité ridicule de certaines têtes nues (il ne s’agit bien entendu ici
que des professionnels), au chevet d’un mort pour qui se préparaient
les jalousies posthumes les plus insidieuses et les revendications les
moins convaincantes, je me pris à soupçonner le mauvais usage qui
allait être fait du Tempo Perdu. C'est encore l’esprit de contradiction
qui m'a mis en garde contre ce qui se disait autour de La Prisonnière.
On s’accordait généralement à la dénigrer. J’ai lu, avec tout le parti pris
que Proust mérite, parce que je ne puis faire de mon goût de certains livres
une science et ne vois dans la littérature comme dans l'amour et les
voyages que raison à s'enthousiasmer. Je n'ai perçu aucun déclin dans
l'œuvre de Marcel Proust. Certains morceaux de La Prioonnière,
la mort de Bergotte, la brouille entre Charlus et les Verdurin,
sont parmi les plus beaux qu’il ait écrits.
Le moins qu’on puisse dire de cette œuvre c'est qu’on ne fait que
commencer d’en parler. Tant pis pour ceux que déjà ce bruit gêne.
Jacques POREL.
(1) Non.