Sculpture
Galerie Vavin-Raspail Manus
pârtie de son corps ? Elle cree, mais ce qu’elle cree, c’est
moins une robe, une echarpe, qu’une nouvelle creature
l’on croirait qu’elle prend de je ne sais quelle armo'ire
mysterieuse Ies parures destinees â telle ou teile; d’ou
certaine noblesse et cette aisance surtout.
Les grandes epoques n’ont jamais ete celles des haillons,
ni celle des fanfreluches d’ailleurs; avant la guerre il y
avait un mot abominable qu’on employait souvent, trop
souvent: CIIICHI; un deşir d'ampleur nous donne aujour-
d’hui la haine des inutiles details et de leur sottise ; l’amour
de vivre (]ui prouve, somme toute, que malgre certaines
tentatives et des impatiences parfois un peu frenetîques
nous sommesbien portants, s’accommode mal de chichis ;
tousen conviennent; îl y a lâentente theorique. Le malheur
est que trop attentifs â la politique, absorbes par des
queştions d’ecole, ceux qui nous avaient fait de grandes
prommesses ne les ont point encore realisâes ; peut-etre
estice qu'en depit de bon vouloir manquait le sens du
respect, ce sens du respect qu’un seul invoqua lors du
proces Earres; or, Sonia DELAUNAY a le sens du respect.
Ce qu’elle respecte? la belle sânte,
la lumiere, la simplicite ; vous voyez
alors qu’elle deteste les poses mor-
bides; l’humidite, les complications ;
ce qu’elle fait estraisonnablc ; je l’a-
ffirme, prenant le mot raisonnable
dans ce qu’il a de plus noble. So
nia DELAUNAY a connu bien des
artistes, poetes, pcintres, sculpteurs.
Elle a vu bien des mouvements se
former, des ecoles se creer; elle
les a aimes, discutes, combattus .
jamais elle ne les â simplement et
tout bonnement acceptcs. c est qu’-
ellc ne pouvait qu’obeir â sa loi se
crete, â son rytme interieur. Encore
une fois, jamais il ne s’est agi pour
elle d’illustrer une theorie, de rcali-
ser les pretentieuses promesses d’un groupe ou d’un autre,
Ses intentions alors, me direz-vous ? Elle n’en a pas, n’en
a jamais eu, ou plutot n’en a qu’une seule, n’en a jamais
qu’une seule! Travailler pour son plaisir et ne pas songer
a flatter ni â scandaliser le r public ; d’ou son indepen-
dance et son unite dans la cieation ; elle a le gout de la
couleur et non le gout desordonne des couleurs; les vio»
lenees inutiles ne lui font point perdre son temps; par
exemple, elle imagine un sac; pour obtenir lharnionie de
finitive il lui faut miile teintes ; or, ces teintes, elle les
cueille en verite aussi facilement que les simples fleurs
d'un jardin qui serait bien â elle, â elle seule ; et parce-
qu’elie ne demande p2s son avis au voisin, son sac a l’air
d’une chose, d’un etre tout naturel, d’une pierre precieuse
ou d’un animal, niettons d’un scarabee: elle vous l’apporte
dans ses paumes, et vous avez envie de le caresser, de le
flatter, de lui parler; n’est-ce point lâ exactement ce qu’on
appelle faire de la vie ?
Nous en avons assez des lits ou l’on n’a pas envie de faire
l’amour, des salles â manger oii l’on perd l’appetit, des
fauteuils ou l’on ne peut s’asseoir; il faut remercier Sonia
DELAUNAY de ses robes que nous voudrions offrir aux
corps les plus chers pour nous consoler de ne point tou-
jours les avoir adorablement nus aupres de nous; il lăut
remercier plusieurs fois Sonia DELAUNAY car elle ne se
contente pas de faire c hanter autour des femmes les etoffes»
les echarpes; elle a dessine de tres
beaux meubles, je veux surtout me
rappeler une grande table carree,
on ne peux plus simple de forme
et plus parfaite de proportion; qu’elle
m’excuse si je n’en sais point parler
comme un peintre des couleurs, un
poete des vers; je veux encore la
remercier d’avoir supprimelc prejuge
hierarchique, d’aimer sulfisamment
la vie, la vie magnifique, pour nous
offrir des chefs d’oeuvre qui embe-
lliront nos gestes quolidiens. Sonia
DELAUNAY a beacoup travaille,
depuis le jour ou Apollinaire dans
la „Femme Assise“ la felicitait
ainsi que son mari de vouloir re-
nover le costume ; mais elle n’a pa s
commis l'erreur de qucter l'approbation de quelciues es-
thetes ; elle n’a point pense â Montparnasse, aux petits
cenacles, elle va vers la foule; je 1 affirme, la loule
insensible.
Rene Crevel
Manteau de Sonia Delauney