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L’ŒUF DUR
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vivre sur les bords de la Manche quelques jours d’amour dont
la pleine beauté s’épanouissait sur la mer toute lamée d’argent
dans le soleil. Jeune encore, surprise par mon audace qui avait
fait chanceler son existence morne et insouciante, mon amie
vivait vibrante, animale, heureuse ; et je goûtais la joie des
despotismes satisfaits, de la chair victorieuse, de la beauté
enchaînée. Puis un matin comme je restais pensif, sur la terrasse
de notre villa, seul, face à la mer que l’aube bourrelait de rose,
survinrent la satiété louche, l’orgueilleux énervement de l’esprit
honteux de s’étioler dans la bestiale béatitude. Et ce fut aussitôt
le départ brutal sans même prévenir celle qui m’avait confié
sa vie, ce fut le voyage hérissé de problèmes moraux, d’inquié
tudes perverses, de fausses joies. — « Eh bien ! je suis débarrassé.
Me voilà tranquille. » Le passage marécageux, gluant m’écceu-
rait ; quelques averses fouettaient le train ; c’était un dimanche :
les stations accrochaient des lambeaux de fêtes locales ; des
filles en toilette claire m’invitaient à la danse, avec des bouches
sirupeuses. Amiens : des jardins des canaux tournoient. Quelques
heures après je roule vers la Normandie. Caen : il y a là un
ami qui m’accueillera, qui me comprendra peut-être. Dans la
nuit je traverse une ville pesante d’une immense saveur balza
cienne. Une rue retirée, une porte cochère, une lanterne sourde
éclairant le guichet qui s’ouvre :
— C’est toi, Mausset ?
— C’est toi, ici, Jean ?
Confidences, conseils, Mausset s’apitoie sur mon compte :
« Mon pauvre vieux. » Je suis presque gêné d’être plaint avec
tant de ferveur, et tout de suite honteux de cette gêne, je
m’imagine créancier de mon ami et obligé d’acquiescer à ses
idées. Mausset a reçu une éducation protestante ; il s’est rallié
à une morale sérieuse et simple. J’admire sa longue tête angu
leuse, ses yeux bleus d’une mobilité perpétuelle, pressés d’ex
primer et de diriger des scrupules.
« Vois-tu, Jean, fait Mausset, nous ne sommes faits, toi
comme moi, ni pour l’adultère ni pour la goguette. La vie
chaste, et quand le cœur est vraiment pris, quand c’est vrai
ment l’amour alors le mariage, la famille. »
Et je l’écoute avec respect, bien que ce mot d’adultère appli
cable à mon cas me paraisse d’une dimension bizarre et un peu
ridicule.
Il fait bon. La nuit d’été répand sa douceur ; l’air s’emplit
du son des cloches. Mausset me propose une promenade pour
détendre mes nerfs. Je prends des résolutions de sagesse. Cepen
dant une atmosphère de provincialisme et d’aventure me berce.