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en déroute. L’univers retentit comme un gong! Puis tout
est étouffé par la voix formidable du silence. Tout dispa
raît. Je reprends conscience. Petit à petit la cellule
s’agrandit. Les murs sont repoussés. L’enceinte recule. Il
n’y a plus qu’un peu de chair humaine dérisoire qui res
pire doucement. Je suis comme dans une tête où tout parle
silencieusement. Mes co-condamnés me retracent leur
vie, leur détresse et leurs fautes. Je les entends dans leur
cellule. Ils prient. Ils tremblent. Ils marchent. Ils vont et
viennent à pas feutrés au fond d’eux-mêmes. Je suis le
pavillon acoustique de l’univers condensé dans ma
ruelle. Le bien et le mal font trembler ma prison et la
souffrance anonyme, ce mouvement perpétuel en dehors
de toute convention. Je suis tout abasourdi par cette
langue énorme qui corne à mon oreille, qui m’hébéte et
qui m’absout.
« Systole, diastole.
« Toutpalpite. Maprison s’évanouit. Les murs s’abattent,
battent des ailes. La 'vie m’enlève dans les airs comme un
gigantesque vautour. A cette hauteur, la terre s’arrondit
comme une poitrine. On voit au travers de son écorce
transparente les veines du sous-sol charrier des pulsations
rouges. De l’autre côté, les fleuves remontent, bleus,
comme du sang artériel et où éclosent des milliards et des
milliards d’êtres. Par au-dessus, comme des poumons
noirâtres, les mers se gonflent et se dégonflent alternati
vement. Les deux yeux des glaciers sont tout proches et
roulent lentement leur prunelle. Yoici la double sphère
d’un front, l’arête brusque d’un nez, les méplats
rocailleux des parois perpendiculaires. Je survole le
mont-dore plus chenu que la tête de Charlemagne et
j’atterris sur le bord de l’oreille qui s’ouvre comme un
cratère lunaire. C’est mon aire. Mon territoire de chasse.
L’entrée est presque obstruée par une protubérance
énorme qui est un tumulus où je m’embusque ; le tombeau
de l’Ancêtre. Derrière, il y a un trou, où tout bruit
extérieur tombe comme un pachiderme dans un piège.