21
Seule la musique s’insinue dans l’étroit corridor pour se
faire prendre le long des parois du cornet. C’est là, dans
l’obscurité complète de la caverne que j’ai capté les plus
belles formes du silence. Je les ai tenues, elles m’ont passé
entre les doigts, je les ai reconnues au toucher.
D’abord les cinq voyelles, farouches, peureuses, délu
rées comme des vigognes ; puis en descendant la spirale
déplus en plus étroite et plus basse de plafond, les con
sonnes édentées, roulées en boules dans une carapace
d’êcaille et qui dorment, hivernent durant de longs mois ;
plus loin encore, les consonnes chuintantes, lisses comme
des anguilles et qui me mordillaient le bout des doigts '
puis, celles veules, molles, aveugles, souvent baveuses,
que je pinçais avec les ongles comme des vers blancs, en
grattant les fibrilles d’une tombe préhistorique ; enfin,
les consonnes creuses, froides, cassantes, cortiquées que
je ramassais sur le sable parmi des débris de coquillages ;
et, tout au bout, à plat ventre, me penchant au-dessus
d’une fissure,parmi les racines, je ne sais quel air empoi
sonné venait me fouetter, me picoter la face : de petits
animalcules me couraient sur la peau, dans les endroits
les plus chatouilleux; ils étaient spiriformes et velus
comme la trompe d’un papillon et avaient des détentes
brusques, éraillées, graillantes.
« Il est midi, le soleil verse de l’huile bouillante dans
l’oreille du démiurge endormi. Le monde s’ouvre comme
un œuf. Il en jaillit une langue, ondoyante et conges
tionnée.
« Non. C’est minuit. La veilleuse m’exténue comme une
lampe à arc. Mes oreilles tintent. Ma langue pèle. Je fais
des efforts pour parler. Je crache une dent, la dent du
dragon.
« Je ne suis pas de votre race. Je suis du clan Mongol
qui a apporté une vérité monstrueuse : l’authenticité de
la vie : cette connaissance du rythme qui ravagera tou
jours vos maisons statiques du temps et de l’espace. En