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M. RENÉ GHIL
Lorsqu’en Novembre 1884, à vingt-deux ans, je signai la
Préface de mon premier livre, où dès lors je signifiai un pre
mier plan de l'Œuvre qui occuperait ma vie, —je crus que
cette Œuvre, avec sa doctrine philosophique, ses théories
techniques et ses directives, se présentait nécessairement,
pour une évolution de sens profond de la Pensée poétique.
Je dis : nécessairement, et que nul autre ne pouvait cet effort
de Poésie à bases scientifiques, et de Synthèse.
Je crois que l’Œuvre accomplie — qui s’achèvera par quatre
volumes encore — est venue en témoignage, quelle que soit
la distance, hélas ! entre l’exprimé et le rêve créateur... C'est
pourquoi j’ai écrit.
RENE GHIL.
M. H. R. LENORMAND
J’écris, comme tout écrivain, pour affirmer des tendances
intimes refoulées dans la vie réelle. Je crois que l’œuvre d’art
pourrait être définie une compensation du réel. Nos instincts
révolutionnaires et sexuels, nos instincts de domination et de
connaissance ne peuvent se satisfaire pleinement au cours de
la vie. Leur refoulement produit une sublimation qui donne
naissance à l’œuvre d’imagination. Celle-ci n’est donc que
l’épanouissement de vélléités contrariées. Elle peut, dans les
cas de refoulement excessifs, aboutir à une contradiction
complète et magnifique de l’existence effective de l’écrivain.
Les atrocités sans frein des ouvrages de de Sade peuvent
s’expliquer par le fait qu’il écrivit surtout en prison. L'ou
trance de ses inventions me ferait plutôt croire à la non-
réalisation de ses tendances érotiques. C’est une revanche du
rêve sur la réalité.
En ce qui me concerne, il n’y a pas lieu de douter que cer
taines de mes pièces, Poussière, les Possédés, Terres chaudes,
entre autres, sont une tentative de compensations d’instincts
révolutionnaires entravés et de désirs de voyages incomplè
tement satisfaits.
H. R. LEIORIMM».
M. ROCH GREY
J’approuve pleinementle nouveau jeu de société qu’inaugure
votre questionnaire.
Mon ami Léonard Pieux, explorateur du désert africain,
vogue dans les parages de facteurs ignorés. Sûr de son consen
tement, je vous réponds pour lui : il écrit comme moi, d’abord
pour vous faire plaisir ; ensuite, pour participer à l’entretien
de l’équilibre universel qui à grands cris demande notre
concours.
ROCH GREY