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LÀ POÉSIE
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II a de l'emportememt: rien n’y résistera, ni ses défauts, ni les diffi
cultés du temps. Ses images poussent plutôt selon les saisons que selon les
modes. Le voici parti tout droit dans ce monde qui n’en finit pas :
quand il est revenu du Brésil, cet hiver, il avait un hâle de passion
sur les joues. Il aime les femmes, par exemple.
DRIEU LA ROCHELLE
VISIONS INFERNALES, par Max Jacob (N. R. F. édit.)
Le Cornet à Dés laissait place au hasard. Ici nul ne pourrait glisser
l’ongle entre l'arbre et l'écorce (entre cuir et chair). Les blessures
sont derrière la toile, le poète ne dessine plus qu’en traits minces.
La poésie comme un fil à plomb n’a plus que deux pôles. Le fruit
mûr quitte l’arbre et retourne à la terre mais un rayon le surprend
entre l'azur et l'abîme. Le fruit ici est une fleur faite de cendre et de
sang, qu'à peine dore la résine des sapins.
Le temps que la femme se détourne, adore et redoute le feu calci
nant la ville généreuse et maudite, et se change en statue, l'arc-en-ciel
éclaire sa jeune chair devenant marbre et ses larmes autour de ses
seins comme un manteau de sel.
Dans les prairies semées de fleurs blanches étoilées le Démon du
tronc de tous les vieux arbres nous guette. Ses bras verts et sanglants
sortent des étangs noirs. Une âcre odeur de fumée nous prend à la
bouche.
La corde la plus profonde de l’âme c’est la terreur. Or c’est par là
que nous saisit le démon, serpent couvé dans notre cœur. Comment
nous sauverions nous de ce jardin public, puisque le jardin public
c’est nous-mêmes.
Une poésie ainsi située n’a pas besoin de longs discours. Elle est
sombre, éclatante et cruelle — rien qu’en nous menaçant du dedans.
Pourpre grave des supplices et notre cœur douloureux.
Francis GÉRARD.