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L’ŒUF DUR
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tiers dont on devinait que le gentilhomme avait l’immense
dégoût, après avoir tant et si naïvement, si puérilement, désiré
de s’y amuser !
— C’est en partie au duc, soutenait effrontément la duchesse,
que les sports doivent la faveur en quoi les tient aujourd’hui
la jeunesse. Jean préside deux clubs nautiques fondés par feu
son père. » Elle souhaitait ainsi faire pardonner ce qu’elle
trouvait d’indécent, de canaille au chef-d’œuvre de Lautrec.
M. Forclos lui laissait ignorer ce qu’en eussent donné les Bern
heim ou l’aîné des Rosemberg. Quant à M. de la Paroisse, d’une
puissante insensibilité, il tenait toute peinture pour corrompue
depuis Paul Delaroche et Hippolyte Flandrin.
Alexandre de Montjoye avait acquis plusieurs autres toiles
de son ami, et comme choisies avec une émouvante maladresse
de duc parmi les plus scandaleuses : Danseuses de cancan ravau
dant leurs falbalas, l'Essayage du maillot, Madame se meurt,
Nini- Belles-cuisses, et il avait encore possédé, chéri des bar
bouillages de fou, d’un certain Van Gogh, un énergumène dont,
après vingt ans, les éclats bouleversaient encore la duchesse ;
des paysages enfantins de Pissaro, un anarchiste : — et jusqu’à
des bonnes femmes en pain d’épice de cet orgueilleux mal
élevé qui s’en fut crever de faim et de fièvre — toujours par
orgueil — chez les sauvages. Tout cela, Dieu merci ! échappait
désormais à la vue ; les toiles les unes par-dessus les autres
empilées au grenier où, sans doute, de correctes souris en
faisaient lentement justice.
La peinture ! Le duc Alexandre n’avait aimé de ce monde
que la peinture et ses enfants. Il soupirait pour dire, lorsque
découragé, il abandonnait le pinceau avant de crever la toile
gâchée d’un malheureux essai : « J’ai fait de trop beaux en
fants vivants. ! »
« Fous-le camp !... rhabille-toi, ma pauvre fille ! », ajou
tait-il, plus triste, pour donner congé à son modèle.
La belle fille s’en allait, lestée d’un louis, tandis qu’on ne
lui donnait que cent sous si la séance avait été bonne. Il s’en
était trouvé une, Rosa la Bordelaise, pour s’aviser de consoler
le duc, sincèrement saisie de pitié devant l’impuissance d’un
tel homme,.
— Faut pas que M. le duc se fasse trop de bile pour ça. Peut-être
que Monsieur le duc a commencé trop tard pour bien avoir la
main. Mais bien sûr qu’il s’y connaît en bonne peinture mieux
que tant de célébrités qui n’ont qu’un truc de fabricant !
Rosa la Bordelaise s’arrêtait alors, semblant pourtant n’avoir
pas tout dit. Le duc la pressait. Alors, toute nue, assise au côté
du gentilhomme lui caressant les mains, honteuse de son idée,