L’ŒUF DUR
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Cinq et trois font huit
Jocond confia ses bagages à un porteur borgne et bossu,
mais qui avait un sourire de jeune fille. En le suivant tant bien
que mal, car il menait un train d’enfer, Jocond pensait : « C’est
une fée ; il va tout à l’heure s’envoler avec un sourire, son
chariot et mes bagages et je serai forcé de coucher tout nu. Ou
encore c’est Iblis le lapidé. Ah, nous allons rire ! » Mais le porteur
qui s’appelait Joseph s’arrêta devant un hôtel splendide et
magnifique. « C’est ici », dit-il. Le directeur de l’hôtel reçut
Jocond avec un sourire terrible : « Votre chambre n’est pas
encore prête, vous coucherez dans la salle de bains. N’ayez pas
peur, ajouta-t-il, la baignoire est rouillée. » Mais le soir, quand
il voulut se coucher et qu’il alluma l’électricité, Jocond vit
dans cette baignoire une jeune fille d’une merveilleuse beauté.
C’était Bertrande. Elle se dressa, blanche apparition et d’une
voix grave : « Vous êtes un schnock », dit-elle. Jocond sentit
qu’il était de trop ; il referma doucement la porte derrière lui
et s’en alla à pas feutrés. Dehors, il se dit : «Ma prédiction
s’est réalisée, c’était bien une fée », et descendit demander
une autre salle de bain. Mais en bas, il vit Joseph qu’il avait
oublié de payer et qui lui réclamait au moins cinquante marcs.
«Toute mon esthétique est en désarroi », pensa-t-il. Puis il
alla au casino, gagna une fortune à la roulette, dansa avec
Bertrande et ne comprit jamais rien à cette bizarre aventure.