ÇA IRA !
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NOTULES
RÉFLEXIONS
Education et Patrie
Une féroce propagande se fait un peu partout pour
faire reprendre vigueur à l’idée de patrie que le bien-
vivre d’avant-guerre avait déracinée des cerveaux.
On veut profiter de l’universelle paresse de penser,
régnant en ce moment, pour ancrer sur de nouveaux
fonds les préjugés de frontières et les haines de
clocher. La guerre, comme un labour, a ramolli,
sinon oblitéré la raison de la plupart des hommes.
Quel moment propice aux funestes semailles. Peu
nombreux en effet sont ceux qui ont pu maintenir
sur les sommets la torche enflammée qui éclaire le
cœur des vrais humains, orgueilleusement citoyens
du monde.
Dix-huit mois sont passés depuis l’armistice. Pres
que rien n’a été fait pour reconstruire nos cités. Ces
belles journées qui ne reviennent plus furent passées
surtout en discours, parades et autres mascarades
propres à affermir le patriotisme des masses, qui se
laissent prendre depuis toujours à tout ce qui brille
et qu’émeuvent surtout les dorures militaires.
Mais il est pour les patriotes, des champs plus
aimés et plus fertiles : les écoles.
11 n’est de par le monde des vainqueurs, plus une
classe de la plus modeste des écoles qui ne soit
décorée de portraits, bustes, allégories magnifiant la
patrie. Les paisibles chansons qu’on enseignait ont
été remplacées par des chants guerriers rimant en
“ gloire, victoire „ “ drapeau, flambeau „. On excite
les enfants à jouer à la guerre, ou à la parade. Et,
dernier moyen, mais non hélas le moindre, on
instaure des “ conférences militaires „ pour les
écoliers.
Les voix qui se sont tues si longtemps, forcées au
silence par le régime d’oppression que toute l’Europe
a subi, commencent à résonner. Les esprits libres se
comptent et vigoureusement s’élève de partout un
cri d’horreur contre la boucherie, contre le chauvi
nisme, contre le fétichisme militaire, contre tous les
préjugés auxquels nous devons le malheur des temps
présents. Mais il nous parait qu’on s’est fort peu
préoccupé jusqu’à ce jour de préserver l’enfance
contre l’emprise de l’obscurantisme patriotard.
Et c’est là qu’il faudrait agir, avec promptitude et
ténacité.
Nous ne pouvons espérer avant longtemps la bonne
fortune de voir réformer l’enseignement de l’histoire,
enseignement par lequel se déforment tant de jeunes
intelligences. La révolution qui est en marche, s’avère
bien lente à venir en Belgique où quatre vingts
années de bien-être ont aveuli les masses avides de
jouissances matérielles. Les pantins qui nous gouver
nent ne se hâteront pas de réorganiser l’orientation
d’une branche si propice au bourrage des crânes et
tellement idoine à obnubiler la raison.
Et pourtant, si l’on veut voir un jour régner sur la
terre une plus grande paix c’est précisément par là
qu’il faudrait commencer. L’enfant n’est que trop
porté à transformer force en droit. Comment peut-il
en être autrement ? Chaque jour on lui enseigne sa
leçon d’histoire, où il apprend que le faible est mangé
par le fort, où on lui inculque le respect pour ceux
qui ont toujours méprisé la vie des autres.
Il est beau de discourir sur l’abolition des frontières,
sur le désarmement général, sur toutes ces choses
qui constituent notre idéal et pour l’obtention des
quelles nous sommes prêts à tout sacrifier. Mais
tâchons de ne pas oublier l’enfance. C’est à la base
de l’édifice qu’il faut frapper si l’on veut le détruire.
Il n’est pas de domaine où l’action personnelle
puisse être aussi efficace que celui-ci. Mille circons-
stances s’offrent chaque jour où nous pouvons inter-
veniret contrebalancer l’effet de la propagande mili
tariste et patriotique. Ne les laissons pas échapper.
L’enfance d’aujourd’hui, c’est l’humanité de
demain. Veillons à réveiller dans les jeunes esprits la
conscience humaine qui dort en eux : la réalisation
de nos idéaux est à ce prix.
Il est presque douloureux de devoir répéter ces
vérités si élémentaires, mais tellement élémentaires
qu’on oublie de les compter.
Il est urgent de s’occuper de l’enfance, de l’arra
cher à l’influence de nos hobereaux militaristes, si
nous ne voulons pas que demain, encore une fois, on
la transforme en chair à canon.
Maurice VAN ESSCHE.