La jeune Poésie espagnole
L'on connaît certainement très mal, chez nous, les tendances
nouvelles dans la littérature étrangère. On se contente de se tenir au
courant de ce qui se passe en France, probablement parce que, à
l’heure présente, la France est sans conteste le pays le plus avancé,
tant en art qu’en littérature. Aucun pays, aucune race n’a pu, dans la
période d'après-guerre où nous pataugeons, malgré tout, encore,
présenter des artistes, des poètes d'une originalité aussi profonde, et
d’une valeur aussi indiscutablement supérieure que ç’a été le cas en
France.
Evidemment, à l’étranger aussi il s’est fait des choses fort intéres
santes, et encore que le nombre des artistes qui y aient vraiment
compris, et pu exprimer dans leur art, notre époque de vie intensive,
soit fort petit, il conviendrait cependant de ne pas oublier qu’il y a t
là aussi, des artistes de valeur. Mais prenons garde : nous retombons
aussi, facilement, dans le travers opposé ; et d’aucuns se flattent de
présenter au public, des poètes ou écrivains, voire des peintres, d'un
pays très éloigné, d’Arménie ou de Patagonie, artistes dont la valeur
est des plus discutable, et dont le seul charme réside dans leur
exoticité.
Je voudrais dire deux mots, toutefois, de quelques poètes espagnols
modernes ; je ne tenterai pas de faire un tableau complet des lettres
espagnoles à ce moment ; ce serait fort malaisé, le mouvement d’esprit
nouveau y étant encore quelque peu en formation, et la personnalité
des poètes modifiant encore leur aspect. — Il ne s’agit pas non plus
d’aller découvrir, dans un coin ignoré, quelque Shakespeare moderne,
mais bien de signaler, — seulement cela — deux ou trois poètes qui
tentent de donner aux lettres espagnoles un mouvement vers le
lyrisme nouveau.
Il y a quelque dix ans, la situation de la littérature espagnole était
fort semblable à celle des lettres françaises. Point d’harmonie, pas de
mouvement littéraire. Comme en France, quelques écrivains —
souvent d’une rare valeur — parvenaient à se créer un public de
lettrés, mais, au milieu des relents d’un symbolisme expirant, nulle
école, nul mouvement ne put s'affirmer comme réellement représen
tatif de notre siècle. Et c'est, somme toute, seulement pendant la
guerre qu’a pu naître en France une conscience lyrique nouvelle, qu’a
pu être cultivée la graine qu’avait déjà semée le grand artiste qu’est
Guillaume Apollinaire. L’Espagne avait pu se mettre à l’abri lors de
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