tendu des tuyaux. Je restais des heures sans 1 entendre.
Puis, soudain, je me demandais s’il avait eu déjà lieu ou
s’il allait bientôt se produire. Je faisais des efforts
énormes pour me rappeler combien de fois il avait eu
lieu dans la journée. Je comptais sur mes doigts, je me
tirais sur les doigts à faire craquer les phalanges. Cela
devenait une manie. Et le bruit retentissait, emportant
tout mon échafaudage de comptes et de calculs. Je courais
à la cuvette pour contrôler le fait. Au fond, le trou
nauséabond était immobile comme un miroir. En me pen
chant dessus, j’obscurcissais tout. Je m’étais trompé,
la vidange ne s’était faite que dans ma tète, elle n’avait
pas eu lieu réellement. Je perdais la notion du temps.
Tout était à recommencer. Un désespoir sans borne m’en
vahissait. .Je me pris à ne plus rien vouloir entendre. Je
me fis volontairement sourd. Sourd, bouché, sourd. Je
passais mes journées sur mon grabat, les jambes ployées
en chien de fusil, les bras croisés sur les épaules, les
yeux fermés, les oreilles pleines de cire, recroquevillé
sur tout mon être, petit, petit, immobile comme dans le
ventre de ma mère...
«... Beaucoup plus tard, j’arpentais ma cellule de long
en large. Je voulais en prendre connaissance. Je posais
mes pieds sur chaque dalle, sur chaque fente, minutieu
sement .J'allais d’un mur à l’autre. Je faisais deux pas en
avant, un en arrière. Je m’appliquais à ne pas poser les
pieds sur les interstices du pavage. Je sautais alternati
vement une dalle, puis l’autre. Grès pif, grès paf, grès
pouf: bon, trop dur, trop mou. Je marchais en ligne droite,
en diagonale, en zig-zag, en rond. Je marchais les pieds
croisés, les pieds tords. Je faisais des grimaces avec mes
jambes. J’essayais legrand écart. Je connaissais la moindre
aspérité du sol, la moindre déclavité, la moindre usure.
Il n’y a pas un centimètre carré que je n’aie piétiné, mille
et mille fois chaussé, en bas, pieds nus et même reconnu
avec la main. Ce manège finit par m’assommer. Mon pas
inégal résonnait sous la voûte comme un grelot funèbre.
De guerre lasse, je passais derechef tout mon temps sur