108 JEAN EPSTEIN
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n’a pas notion de l’amour en dehors des objets qu’il aime en fait ; c’est
faux. La preuve de l’existence d’une telle notion de temps se trouve, et
fort simple, dans le cas de ces dormeurs, ils sont nombreux, qui se réveil
lent à l’heure qu’ils veulent, à cinq minutes près. Cette faculté de régler
la durée de son sommeil ne se concevrait pas sans une notion de durée,
c’est-à-dire de temps psychologique.
Précisons la nature de ce temps psychologique ; il est, j’ai dit presque,
de l’ordre des sentiments. En tout cas, entre lui et le domaine sentimental
il y a une étroite union. Pour premier exemple de ces rapports, je cite la
loi de mémoire, bien connue : quand on compare un souvenir à l’objet
qui lui a donné naissance, ce souvenir paraît plus beau que l’objet, et, jus
qu’à un certain point, d’autant plus beau que le souvenir est plus ancien.
La durée se traduit donc ici en valeur esthétique. Et, comme c’est géné
ralement que le temps transforme ainsi la qualité de toutes les représen
tations passées qui existent à l’état de souvenir ou d’oublié conditionnel ;
et comme dire que le temps modifie tout le bagage mnésique et cryptomné-
sique de l’individu, c’est dire qu’il modifie tout l’état psychique actuel de
cet individu, ce temps peut être perçu et considéré en fonction de ce
changement général qu’il apporte dans le domaine sentimental. Le temps
psychologique n’est alors pas tenu pour un sentiment, mais pour une cer
taine variation du sentiment, sentiment second. Le temps psychologique
est donc la dérivée de l’ensemble sentimental, comme l’accélération est
celle de la vitesse. En voici une confirmation : si le temps psychologique
se comporte réellement comme la dérivée de l’état sentimental, il doit
croître de façon directement proportionelle au nombre et à l’importance
des variations dans l’état sentimental. C’est en effet ce qui a lieu ; car si
nous considérons un régime mental où les variations sentimentales sont
extrêmement nombreuses et accusées, la pensée onirique par exemple, le
temps y donne l’illusion de se développer avec une rapidité vertigineuse.
Alors, rêvant, tandis que votre réveil sonne, cette sonnerie sert à écha
fauder toute une histoire qui paraît, quand vous vous réveillez, le réveil
sonnant encore, avoir duré trois jours. Trois jours d’un temps en dix
secondes d’un autre temps, tous deux psychologiques, cela montre assez