de tous mes ouvrages.» Sans cesse il consulte la Nature, mais il 
peut aussi se passer d’elle. Bien des dessins que vous Vvoyez ici 
ont 6te ex&cut&s de pratique, a la lampe, aux fameuses soirees ami- 
cales de la Saint-Sylvestre. Les hommes, les arbres, les chevaux, 
les lions, plus libres de revivre dans la solitude nocturne, prennent 
des proportions fabuleuses. La faculte d’&voquer l’essentiel se double 
d’un pouvoir non moins precieux: celui d’oublier tous ces details, 
si scrupuleusement notes, de s’&vader de la tyrannie d'une verite 
qu’on possede ä fond, afin de s’elancer ä la poursuite d’autres 
certitudes et de realit&s plus durables. 
L’encre, le crayon, le lavis au pinceau, tous les modes d’expres- 
sion Iui sont bons; mais qu'il dessine par le seul contour, par hachures 
ou par a plats, par taches ou par oves, toujours on le reconnait, me&me 
dans la douceur, A la fi&vre du trait, a la vehe&mence du modelle. Si 
diverse que soit sa facture meme, il est le contraire de ces peintres- 
protees dont on ne sait plus quand ils sont vraiment eux-memes. 
Dans le moindre croquis il se donne tout entier, sans reserves, et 
c’est sa facon de nous subjuguer. Pas besoin de signature ou de 
cachet. L’&lan de cette plume ou de cette pointe vaut tous les paraphes 
et, malgre les imitateurs, les dessins d’Eugene Delacroix, comme 
ceux de Daumier, defient les faussaires. 
Tel est le prestige d’un maitre qui, presque seul en France, peut 
&tre appele peintre universel. Quand on entreprit au Musee du Louvre, 
en 1930, de classer l’ceuvre par sujets, il fallut ouvrir toutes sortes 
de rubriques: themes religieux, Orient, themes historiques, portraits, 
nus, animaux, interieurs, fleurs, paysages, etc. ... Mais l’imagination 
de Delacroix debordait de ces cadres. Il disait lui-m&me qu'il lui eut 
fallu plusieurs existences pour executer tout ce qu'il avait concu. 
C'est pour cette raison qu'on ne saurait attacher trop de prix aux 
dessins et aux aquarelles, r&serve immense qui nous apporte, ä cöte 
de l’univers realise&, une somme plus vaste encore de rö&ves. 
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